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ne serait déjà pas mal, Cyrus, si ta harangue enflammait leurs âmes. — Eh quoi, dit Cyrus, un seul discours tenu sur-le-champ peut-il remplir d’honneur les âmes des écoutants, les éloigner de la lâcheté, leur faire braver, pour la gloire, tout travail, tout danger, faire entrer profondément dans les cœurs qu’il vaut mieux mourir en combattant que de se sauver par la fuite ? Si l’on veut que de tels sentiments s’impriment chez les hommes et y demeurent gravés, il faut d’abord établir des lois qui assurent aux citoyens vertueux une existence honorable et libre, et qui condamnent les lâches à traîner dans l’humiliation une vie misérable et abjecte. Il faut ensuite, je crois, confier ces hommes à des chefs qui les forment par leur exemple, autant que par des préceptes, à la pratique des vertus, jusqu’à ce qu’ils soient accoutumés à regarder comme réellement heureux les hommes braves et renommés, et à considérer les, gens lâches et sans gloire comme les plus malheureux des hommes. Voilà les sentiments dignes de ceux qui veulent faire preuve d’une instruction supérieure à la crainte des ennemis. Si, quand ils vont au combat en armes, moment où la plupart oublient leurs anciennes leçons, on pouvait, par l’emploi de quelque rhapsodie, rendre soudain les hommes braves, il n’y aurait rien de plus facile que d’apprendre soi-même et d’enseigner aux autres la plus grande des vertus humaines. Mais moi, je ne me fierais pas même à la persévérance de nos soldats exercés depuis si longtemps, si je ne vous voyais à leur tête, pour leur apprendre, par votre exemple, comment il faut se conduire, et pour rappeler à leur devoir ceux qui viendraient à l’oublier. Quant à ceux qui n’ont aucune teinture de vertu, je m’étonnerais, Chrysantas, qu’un seul beau discours contribuât plus à les rendre braves qu’un seul air bien chanté ne rendrait musiciens des gens sans aucune teinture de musique. »

Tels étaient leurs discours. Cependant Cyaxare envoie dire, pour la seconde fois, que Cyrus a tort de différer et de ne pas conduire au plus vite à l’ennemi. Cyrus répond : « Qu’il sache donc bien qu’il n’y en a pas encore assez dehors : annoncez-le-lui en présence de tout le monde. Pourtant, s’il y tient, je conduirai dès à présent. » Cela dit, il invoque les dieux et fait sortir l’armée. Le défilé commence au pas redoublé : lui-même est en tête ; le reste soit en bon ordre, grâce à l’habitude prise par l’instruction et par l’exercice de marcher en rang, à leur vigueur, leur émulation, leurs corps fortifiés par la fatigue, la présence de leurs chefs aux premiers rangs, leur joie prove-