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d’abord, mon père me l’a donné jadis pour être soumis à mes ordres. Mais lui, obéissant, dit-il, aux injonctions de mon frère, il a pris les armes contre moi, et s’est emparé de la citadelle de Sardes. Alors je lui ai fait la guerre de manière à lui faire désirer la fin des hostilités. Je pris sa main et lui donnai la mienne[1]. » Après ces premiers mots : « Orontas, continua Cyrus, t’ai-je fait quelque tort ? — Aucun tort, » répondit Orontas. Alors Cyrus : « Cependant, plus tard, comme tu l’avoues toi-même, sans avoir eu à te plaindre de moi, ne t’es-tu pas ligué avec les Mysiens, et n’as-tu pas ravagé mon pays autant que tu l’as pu ? » Orontas en convint.

« Et quand tu eus reconnu ton impuissance, reprit Cyrus, n’es-tu pas venu à l’autel de Diane m’assurer de ton repentir ? Puis, après m’avoir attendri, ne m’as-tu pas donné ta foi, et n’as-tu pas reçu la mienne ? » Orontas en convint également. « Quel tort fai-je donc fait, continua Cyrus, pour qu’on te prenne une troisième fois à tramer contre moi ? » Orontas avouant qu’il n’avait éprouvé aucun tort : « Tu avoues donc, lui demanda Cyrus, que tu es injuste envers moi ? — Il le faut bien, dit Orontas. — Mais pourrais-tu, demanda Cyrus, devenant l’ennemi de mon frère, rester pour moi un ami fidèle ? — Je le resterais, Cyrus, répondit Orontas, que tu ne le croirais pas. »

Alors Cyrus s’adressant à ceux qui étaient présents : « Ce que cet homme a fait, dit-il, il l’avoue. À toi donc, Cléarque, de parler le premier : dis-nous, que t’en semble ? » Alors Cléarque. « Mon avis, dit-il, c’est de nous défaire de cet homme le plus tôt possible, afin de n’avoir plus à nous en défier, et de pouvoir à notre aise, lui puni, faire du bien à ceux qui veulent être nos amis. » Cléarque racontait que les autres s’étaient rangés à son opinion. Alors, sur un ordre de Cyrus, tout le monde et les parents mêmes d’Orontas se lèvent et le prennent par la ceinture : c’était le condamner à mort[2] ; puis il est emmené par ceux qui en avaient l’ordre. En le voyant partir, les gens qui avaient coutume de se prosterner au-devant de lui le firent encore, bien que sachant qu’il allait au supplice. On le conduisit à la tente d’Artapatès, le plus dévoué des

  1. « L’usage de se donner la main en témoignage d’amitié n’est pas d’une date moderne. On verra plus d’une fois, dans la suite de cet ouvrage, que ce signe, garant de l’alliance et de la réconciliation, était regardé comme un serment sacré. » De la Luzerne.
  2. C’est ainsi que Darius prit Charidème par la ceinture, pour marquer qu’il le condamnait à mourir. Voy. Diodore de Sicile, XVII, xxx.