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il, combien de troupes m’enverras-tu, combien d’argent me payeras-tu pour la guerre ? — Je ne pois, Cyrus, dit l’Arménien, te répondre avec plus de franchise et de vérité qu’en t’exposant l’état de nos forces actuelles, afin que, d’après ce que tu verras, tu emmènes ce qu’il te plaira de troupes, et que tu laisses le reste pour la garde du pays. Il me semble juste de t’exposer de la même manière l’état de nos finances ; quand tu le connaîtras, tu en prendras suivant ton bon plaisir, et tu nous en laisseras ce que tu jugeras à propos. — Eh bien, dit Cyrus, expose-moi l’état de vos forces, et dis-moi à quoi se montent vos finances. — La cavalerie des Arméniens, dit le roi d’Arménie, est forte de huit mille hommes, et leur infanterie de quarante mille. Nos richesses, en y comprenant les trésors laissés par mon père, peuvent être évaluées en argent à la somme de plus de trois mille talents. — De tes troupes, dit aussitôt Cyrus, sans hésiter, puisque vous êtes en guerre avec les Chaldéens, vos voisins, tu ne me donneras que la moitié ; et pour tes richesses, au lieu de cinquante talents que tu devais comme tribut à Cyaxare, tu lui en payeras cent, à cause de ton infidélité. Mais tu m’en prêteras cent autres, et je te promets, si le ciel me seconde, en retour de ce que tu m’auras prêté, de te rendre de plus grands services ou de te compter la somme, si je puis. Si je ne puis pas, on pourra m’accuser d’impuissance, mais d’injustice, ce ne serait pas juste. — Au nom des dieux, dit l’Arménien, Cyrus, ne parle pas ainsi : autrement, tu ne me donnerais pas confiance. Songe que ce que tu me laisses n’est pas moins à toi que ce que tu emporteras. — Soit, dit Cyrus ; mais, pour recouvrer ta femme, combien me donnes-tu ? — Tout ce que je possède. — Bien ! et pour tes enfants ? — Encore tout ce que je possède. — C’est, dit Cyrus, une fois de plus que ce que tu as réellement. Et toi, Tigrane, que donnerais-tu pour recouvrer ta femme ? » Tigrane était nouvellement marié et éperdument épris de sa femme. « Moi, Cyrus, je vendrais ma vie, pour empêcher ma femme d’être esclave. — Reprends-la donc, eue est à toi. Je ne la regarde point comme captive, puisque tu n’as jamais abandonné notre parti. Et toi, Arménien, reprends aussi ta femme et tes enfants sans rançon ; ils sauront par toi qu’ils n’ont pas cessé d’être libres. Maintenant vous allez souper avec nous ; puis, après le souper, vous irez où il vous plaira. » Ils restèrent.

Après le souper achevé sous la tente, Cyrus reprenant la conversation : « Dis-moi, Tigrane, où est donc cet homme qui