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Cyrus, selon toi, de punir à ton avantage ou bien à ton désavantage ? — Dans le dernier cas, je me punirais moi-même. — Et cependant, dit Tigrane, ce sera un grand désavantage pour toi, si tu fais mourir des gens qui t’appartiennent, au moment où il t’importe le plus de les conserver. — Et comment, dit Cyrus, peut-on compter sur des gens convaincus d’infidélité ? — S’ils deviennent sages, je crois ; car, selon moi, Cyrus, il en va de la sorte ; sans la sagesse, les autres vertus sont inutiles. À quoi sert à un homme d’être fort et courageux, s’il n’est sage ? à quoi lui sert d’être bon écuyer, riche, puissant dans sa patrie ? Mais avec la sagesse, tout ami est utile, tout serviteur est bon. — Tu dis donc que, dans un même jour, ton père d’insensé est devenu sage ? — Assurément. — La sagesse, selon toi, est donc une affection de l’âme, comme la douleur, et non point une science acquise. Cependant, s’il faut être sensé pour devenir sage, jamais on ne peut dans un instant devenir sage d’insensé. — Comment, Cyrus ! N’as-tu donc jamais observé qu’un homme, qui ose se battre contre un plus fort, est aussitôt guéri de sa témérité par sa défaite ? N’as-tu jamais vu que de deux États en guerre, celui qui est vaincu cesse aussitôt de vouloir combattre contre l’autre ? — Quelle est donc cette défaite, dit Cyrus, que ton père a éprouvée, pour devenir aussi sage que tu le dis ? — C’est, par Jupiter, après avoir désiré sa liberté, de se voir plus esclave que jamais ; c’est, chaque fois qu’il a cru devoir ou tenir ses plans secrets ou attaquer de vive force, de voir échouer ses desseins. Il t’a vu toi, quand tu as voulu le tromper, le tromper aussi facilement qu’on trompe des aveugles, des sourds, des hommes dépourvus de sens. Quand tu as voulu rester impénétrable, il t’a vu demeurer si impénétrable pour lui, que les places qu’il croyait avoir fortifiées pour s’y défendre, tu en as fait, sans qu’il s’en aperçût, de vraies prisons : tu l’as si bien prévenu de vitesse, que tu es arrivé de loin avec une nombreuse armée, avant qu’il ait eu rassemblé ses troupes autour de lui. — Et tu penses, dit Cyrus, qu’un tel revers est capable de rendre un homme sage, ainsi que la conviction que les autres hommes valent mieux que lui ? — Beaucoup mieux, dit Tigrane, que s’il est vaincu dans un combat. Car il peut se faire que celui qui est vaincu par la force, croie qu’en s’exerçant le corps il pourra se représenter à la lutte : une ville subjuguée espère qu’en prenant des alliés, elle pourra renouveler le combat. Mais, quand on reconnaît la supériorité d’un homme, souvent on consent à lui obéir sans contrainte. — Tu me parais croire que les hommes