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notre pays. Il en est ici comme des chevaux. C’est pour les avoir bons, et non pas de votre pays, que vous en faites recherche ; de même dans le choix des hommes, ce sont ceux que vous croyez les plus capables de fortifier votre parti et de vous faire honneur que vous prenez avec vous. Voici encore une preuve au sujet du bien en question : un char n’a garde d’aller vite, attelé de chevaux pesants, ni d’une course égale, attelé de chevaux inégaux ; une maison ne peut être bien administrée, quand elle a de mauvais serviteurs ; et celle qui n’a pas du tout de serviteurs est moins en danger de ruine que celle où des serviteurs injustes mettent le désordre. Sachez donc bien, mes amis, qu’après avoir banni les méchants nous aurons non-seulement l’avantage de n’avoir plus de méchants avec nous, mais que ceux qui resteront, si déjà la contagion les gagnait, reprendront leur ancienne santé, et que les bons, voyant les méchants couverts d’infamie, s’attacheront avec plus de cœur à la vertu. » Ainsi parla Cyrus : tous ses amis l’approuvèrent et agirent en conséquence.

Cependant Cyrus voulut de nouveau égayer les convives. S’étant aperçu qu’un lochage amenait avec lui et faisait asseoir sur le même lit un homme très-velu et très-laid, il appelle le lochage par son nom et lui dit : « Sambaulas, est-ce à cause de sa beauté, qu’à la mode des Grecs, tu mènes partout ce jeune homme assis auprès de toi ? — Par Jupiter, dit Sambaulas, j’aime à me trouver avec lui et à le regarder. » À ces mots, ses compagnons de tente jettent les yeux sur lui, et en voyant la physionomie de cet homme d’une laideur repoussante, ils éclatent tous de rire : « Au nom des dieux, Sambaulas, dit l’un d’eux, qu’a donc fait cet homme pour t’attacher ainsi à lui ? — Par Jupiter, répond Sambaulas, je vais vous le dire. Toutes les fois que je l’ai appelé, soit le jour, soit la nuit, il n’a jamais allégué de prétexte pour s’en dispenser, et il n’est pas venu à pas lents, mais toujours au pas de course : toutes les fois que je lui ai donné un ordre, je le lui ai vu toujours exécuter, dût-il se mettre en sueur ; il a rendu comme lui tous les hommes de sa décade, non par des paroles, mais par des actions. — Mais alors, dit quelqu’un, puisqu’il est tel que tu le dis, pourquoi ne lui donnes-tu pas le baiser comme entre parents ? » À cela l’homme très-laid se met à dire : « Oh ! non, par Jupiter : il n’aime pas la besogne difficile ; s’il voulait me donner le baiser, cela lui vaudrait une dispense de tous les autres exercices. »