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la réputation, si tu achetais les plus beaux instruments pour chacun de ces métiers, tu pourrais d’abord tromper le monde ; mais, avant peu, quand on t’aurait mis à l’épreuve, tu serais découvert et tu passerais pour un charlatan. — Mais quel est le moyen de devenir réellement habile dans un art qui doit être utile ? — Il est clair, mon fils, que c’est en apprenant tout ce qui peut être appris-, comme tu as appris la tactique. Si ce sont des choses que les hommes ne peuvent pas apprendre, que la pénétration humaine ne peut pas pénétrer, il faut les demander aux dieux par la divination, et tu deviendras plus habile que les autres ; puis, quand tu verras quelque chose de meilleur à faire, tu veilleras à ce que cela soit fait. Car le soin de ce qu’il faut est plutôt d’un homme habile que la négligence. Au reste, pour se faire aimer de ceux auxquels on commande, ce qui me paraît la chose du monde la plus importante, il faut suivre la même voie que quand on désire se faire aimer de ses amis. Je crois qu’il faut évidemment faire du bien. Il est vrai, mon fils, qu’il est difficile de faire toujours du bien à qui l’on veut ; mais partager la joie de ceux auxquels il arrive quelque bien, la douleur de ceux qui éprouvent quelque mal, s’empresser de venir en aide à leurs besoins, craindre qu’ils ne réussissent pas dans leurs projets, essayer par sa prévoyance de les garantir d’un échec : telles sont les preuves manifestes d’une affection réciproque.

« Entrons dans la pratique : si l’on est en été, le chef doit ostensiblement s’exposer davantage au soleil ; en hiver, au froid ; quand il faut peiner, aux travaux : tout cela le fait chérir encore plus de ceux auxquels il commande. — Tu dis donc, mon père, qu’il faut qu’un chef ait plus de courage à tout, que ceux auxquels il commande ? — C’est ce que je dis. Cependant rassure-toi, mon fils. Sache bien que les mêmes travaux n’affectent pas de la même manière le chef et celui qui obéit ; mais la gloire allège les travaux du chef, et la conscience qu’il a que rien de ce qu’il fait ne demeure caché. — Mais enfin, mon père, quand les soldats auront le nécessaire, la santé, l’habitude de la fatigue, l’exercice des manœuvres militaires, l’ardeur de montrer leur bravoure, le désir plus vif d’obéir que de désobéir, te paraîtrait-on sage alors en voulant les conduire aussitôt à l’ennemi ? — Oui, par Jupiter, si l’on doit avoir l’avantage : autrement, plus je croirais être vaillant et avoir de vaillants soldats, plus je me tiendrais sur la réserve. Car d’ordinaire les objets que nous croyons les plus précieux, nous nous efforçons