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non-seulement je ne t’ai rien demandé de ce qui leur était du personnellement, mais que je ne t’ai pas même réclamé ce que tu m’avais promis. Je te jure encore que je n’aurais point accepté ce que tu m’aurais donné, si les soldats n’avaient reçu en même temps ce qui leur était dû. J’aurais regardé comme une honte de faire mes affaires et de négliger les leurs, mes besoins devant passer après l’estime où je suis auprès d’eux. Laissons Héraclide penser que le reste n’est que niaiserie et qu’il faut, par tout moyen, se procurer de l’argent. Quant à moi, Seuthès, je crois que pour un homme, et surtout pour un prince, il n’y a pas de richesses plus précieuses ni plus brillantes que la justice et la générosité : quiconque les possède est riche, a de nombreux amis ; il est riche d’hommes qui aspirent à son amitié. Prospère-t-il, il a des gens qui se réjouissent avec lui ; tombe-t-il dans l’infortune, il ne manque pas de secours. Si mes actes n’ont pu te convaincre que j’étais sincèrement ton ami, si mes paroles n’ont pu te le faire connaître, songe à ce qu’ont dit les soldats. Tu étais là, tu as entendu ce que disaient ceux qui voulaient me blâmer. Ils m’accusaient auprès des Lacédémoniens de n’être plus attaché qu’aux Lacédémoniens ; ils me reprochaient de préférer tes intérêts aux leurs, ils disaient que j’avais reçu de toi des présents. M’aurait-on accusé, le crois-tu, d’avoir reçu de toi ces présents, si l’on m’avait vu mal disposé à ton égard, et si l’on n’avait supposé que j’avais pour toi trop de zèle ? Je pense, en effet, que tous les hommes doivent montrer de la bienveillance à celui dont ils reçoivent des présents. Toi, au contraire, avant que je t’eusse rendu aucun service, tu me faisais un accueil gracieux ; tes regards, ta voix, tes dons étaient ceux d’un hôte ; tu ne te lassais pas de me faire des promesses ; maintenant que tu as accompli ce que tu voulais, et que, grâce à moi, tu es arrivé à une haute puissance, tu as le cœur de me voir déshonoré auprès des soldats ? Et cependant je ne doute pas que tu ne les payes ; le temps, j’en suis sûr, sera ton maître ; tu ne pourras souffrir de voir ceux qui t’ont rendu service devenir tes accusateurs. Je te demande donc qu’en les payant, tu t’efforces de me faire voir aux soldats tel que j’étais, quand tu m’as pris à ton service. »

En entendant ces paroles, Seuthès maudit celui qui était cause que la solde n’eût pas été payée depuis longtemps, et tout le monde pensa bien qu’il désignait Héraclide. « Pour moi, dit-il, je n’ai jamais eu la pensée de retenir ce qui est dû ; je payerai. » Alors Xénophon répond : « Puisque tu consens à