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prend les pains servis devant lui, les rompt en morceaux et les lance à qui bon lui semble : il en fait de même des viandes, dont il ne se réserve que pour en goûter. Les autres suivent son exemple, chacun pour les mets qu’il a devant lui. Un certain Arcadien, nommé Arystas, grand mangeur, ne se donne pas la peine de jeter aux autres ; il prend dans sa main un pain de trois chénices, met de la viande sur ses genoux et dîne.

On porte autour des convives des cornes de vin, et personne ne refuse. Arystas, quand l’échanson vient lui apporter la corne, lui dit en regardant Xénophon qui ne mangeait plus : « Donne-la donc à celui-ci, il a le temps, et moi je ne l’ai pas encore. » Seuthès qui l’entend parler demande à l’échanson ce qu’il dit : alors l’échanson, qui savait le grec, le lui raconte, et tout le monde de rire.

Pendant que l’on continue de boire, entre un Thrace menant un cheval blanc. Il prend une corne pleine et dit : « Je bois à ta santé, Seuthès, et je te donne ce cheval, sur lequel tu pourras à ton gré poursuivre et prendre un ennemi, ou lui échapper sans crainte. » Un autre amène un jeune esclave et le lui donne en buvant aussi à sa santé : un troisième lui offre des vêtements pour sa femme. Timasion, buvant à la santé de Seuthès, lui donne une coupe d’argent et un tapis qui valait dix mines. Un certain Gnésippe d’Athènes se lève et dit que c’est un ancien et fort bel usage que ceux qui ont donnent au roi pour lui faire honneur, mais que de son côté le roi donne à jeux qui n’ont rien : t Ainsi, dit-il, j’aurai de quoi te donner et te faire hommage. » Xénophon ne savait que faire, d’autant que, par honneur, on l’avait fait asseoir sur le siège le plus voisin de Seuthès.

Héraclide ordonne à l’échanson de lui présenter la corne. Xénophon, qui avait un peu bu, se lève, prend bravement la corne et dit : « Pour moi, Seuthès, je me donne à toi, moi-même et tous mes compagnons, pour être de tes amis dévoués : nul n’y répugne ; tous, au contraire, désirent, plus encore que moi, devenir tes amis. Et maintenant les voici qui ne te demandent rien, mais jaloux d’affronter pour toi les fatigues et les dangers. Avec eux, s’il plaît aux dieux, tu reprendras possession du vaste pays de tes pères, et tu y ajouteras de nouvelles conquêtes : tu auras beaucoup de chevaux, beaucoup d’hommes, de jolies femmes, qui ne sont pas le fruit du pillage, mais des présents volontaires. » Seuthès se lève, boit avec Xénophon, et répand ensuite à terre le vin qui reste dans la corne.