Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

suis plus insolent que les ânes, dont la fatigue n’arrête pas dit-on, l’insolence. Mais explique pourquoi je l’ai frappé. Te demandais-je quelque chose, et est-ce pour ton refus que je t’ai battu ? Est-ce que j’exigeais une restitution ? T’ai je querellé pour un mignon, ou bien étais-je en état d’ivresse ? » L’autre convenant que ce n’est rien de tout cela, Xénophon lui demande s’il était alors parmi les hoplites. « Non. — Avec les peltastes ? — Non plus ; mais moi, homme libre, je conduisais un mulet ; les camarades de chambrée m’en avaient chargé. » Xénophon reconnaissant alors son homme : « N’es-tu pas, lui demande-t-il, celui qui transportait un malade ? — Oui, par Jupiter ! tu m’y avais forcé, après avoir culbuté le bagage de mes compagnons. — Mais cette culbute, dit Xénophon, voici comment elle s’est faite. Je répartis les effets entre d’autres soldats, pour les porter et nie les remettre. Le tout m’ayant été rendu en bon état, je te l’ai remis en échange de mon homme. Mais écoutez comment cela s’est fait : la chose en vaut la peine.

« On laissait en arrière un homme qui ne pouvait plus marcher : je ne le connaissais que parce qu’il était un des nôtres. Je te force à le porter, sans quoi il est perdu ; car, si je ne me trompe, nous avions les ennemis en queue. » L’homme en convient, « Après t’avoir fait prendre les devants, poursuit Xénophon, je retourne à l’arrière-garde, et je te retrouve ensuite creusant une fosse pour enterrer ton homme. Je m’arrête et je l’approuve. Mais pendant que nous sommes là, le malade plie la jambe : tous les assistants s’écrient qu’il est en vie. Alors toi : « Tout ce qu’on voudra, dis-tu ; pour moi, je ne le porte plus. C’est alors que je t’ai frappé. — Tu dis vrai. — Tu me faisais l’effet de savoir qu’il n’était pas mort. — Eh bien, répéta le plaignant, en est-il moins mort depuis que je te l’ai rendu ? — Et nous aussi, dit Xénophon, nous mourrons tous ; mais est-une raison pour nous enterrer tout vifs ? » Tout le monde alors s’écrie qu’il n’a pas assez frappé. Xénophon invite ensuite les autres à dire pourquoi chacun d’eux l’a été. Personne ne se levant, il dit :

« Oui, soldats, j’en conviens, j’ai frappé pour indiscipline beaucoup d’hommes, auxquels il aurait dû suffire d’être sauvés par vous : nous marchions en ordre et nous combattions quand il le fallait, tandis que ces hommes-là, quittant leurs rangs, et courant en avant, voulaient piller et gagner plus que vous. Si nous avions tous fait cela, nous étions tous perdus. Il y a plus : quelque soldat mou, refusant de se relever et se livrant lui-