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ce n’est qu’il se trouva beaucoup de ruches, que tous les soldats qui en mangèrent eurent le délire, des vomissements, un dérangement de corps, et que pas un ne put se tenir sur ses jambes. Ceux qui en avaient peu mangé ressemblaient à des gens tout à fait ivres : ceux qui en avaient pris beaucoup, à des furieux ou à des mourants[1]. Beaucoup gisaient à terre, comme après une défaite ; il y avait un grand découragement. Cependant le lendemain il n’y eut personne de mort, et le délire cessa vers la même heure où il avait pris la veille. Le troisième et le quatrième, chacun se leva, comme après une purgation.

On fait ensuite sept parasanges en deux étapes, et l’on arrive sur le bord de la mer à Trapézonte[2], ville grecque, peuplée, sur le Pont-Euxin, colonie de Sinope, dans le pays des Colques. On y demeure une trentaine de jours sur les terres des Colques, en butinant dans la Colchide. Les Trapézontins établissent un marché dans le camp des Grecs, les reçoivent et leur offrent des dons hospitaliers, des bœufs, de la farine d’orge, du vin. Ils obtiennent aussi qu’on ménage les Colques au voisinage, répandus la plupart dans la plaine, et l’on en reçoit aussi beaucoup de bœufs comme présents d’hospitalité. On se prépare ensuite à faire aux dieux les sacrifices promis ; car il était venu assez de bœufs pour offrir à Jupiter sauveur, à Hercule conducteur et aux autres dieux, les victimes promises. On célèbre également des jeux et des combats gymniques sur la montagne du campement, et l’on choisit Dracontius de Sparte pour veiller à la course et présider aux jeux. Il avait été banni tout enfant de sa patrie, pour avoir tué, sans le vouloir, un autre enfant, en le perçant de son poignard.

Le sacrifice achevé, on donne à Dracontius les peaux des victimes, et on le prie de conduire les Grecs au lieu préparé pour la course. Il désigne la place même où on se trouve : « Cette colline, dit-il, est excellente pour courir dans le sens que l’on voudra. — Mais comment donc feront-ils, lui dit-on, pour lutter sur ce sol inégal et boisé ? » Il répond : « On n’en

  1. « Pline l’Ancien parle (Hist. nat., XXI, chap. xiii, § 45) d’une sorte de miel qui, de son temps, se trouvait sur les côtes du Pont, et qu’il désigne sous le nom de mænomenon mel (μαινόμενον μέλι), mel quod insaniam gignit, parce qu’il faisait perdre la raison à ceux qui en mangeaient ; et Pitton de Tournefort rapporte (Relation d’un voyage au Levant, t. III p. 130), d’après le P. Lambert, missionnaire théatin, que les abeilles recueillent sur un arbrisseau de la Colchide ou Mingrélie des sucs qui produisent un miel nauséabond et dangereux. » L. Dubeux.
  2. Aujourd’hui Trébizonde.