Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 2.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’on arrive aux bords du Phase, fleuve large d’un plèthre ; puis on fait dix parasanges en deux étapes ; après quoi l’on aperçoit, sur le sommet d’une montagne donnant dans la plaine, des Chalybes, des Taoques et des Phasiens. Chirisophe, voyant les ennemis sur la hauteur, arrête sa colonne à la distance d’environ trente stades, pour ne pas s’approcher de l’ennemi en ordre de marche. Il ordonne aux autres chefs de faire avancer les loches de manière à ce que l’armée soit en phalange. Quand l’arrière-garde est également formée, il assemble les stratèges et les lochages, et dit : « Les ennemis, comme vous voyez, occupent le sommet de la montagne : il s’agit de délibérer sur ce qu’il faut faire pour combattre avec succès. Pour ma part, je suis d’avis d’envoyer les soldats dîner, et d’examiner entre nous si c’est aujourd’hui ou demain qu’il convient de passer la montagne. — Moi, dit Cléanor, je crois qu’il faut dîner au plus vite, courir au plus vite aux armes et marcher contre ces gens-là. Si nous attendons à demain, les ennemis qui nous voient seront plus audacieux, et cette audace, croyez-le bien, en attirera un plus grand nombre. »

Après Cléanor, Xénophon parla ainsi : « Pour moi, tel est mon sentiment. S’il est nécessaire de combattre, il faut nous préparer à combattre avec vigueur ; mais si nous ne voulons que passer le plus aisément possible, il faut, avant tout, aviser à n’avoir que très-peu de blessés, et très-peu de morts. La partie des monts qui est en vue s’étend à près de soixante stades, et il ne paraît d’ennemis en observation que sur ce chemin. Il vaudrait donc beaucoup mieux essayer de surprendre un passage non gardé et prévenir l’ennemi, si nous pouvons, que d’attaquer un lieu fort et des hommes bien préparés. Il est bien plus facile de franchir un mont escarpé, quand on n’a personne à combattre, qu’un terrain plat, quand les ennemis sont partout. La nuit, quand on ne se bat pas, on voit mieux où l’on pose le pied, que le jour, quand il faut se battre. Enfin une route pierreuse, quand on ne se bat pas, est moins fatigante pour les pieds qu’une route unie où l’on expose sa tête. Je ne crois donc pas impossible de nous dérober, puisqu’il nous est permis de marcher la nuit, de manière à n’être point vus, et que nous pourrons prendre un tour qui dissimule notre marche. Il me semble encore qu’en faisant une fausse attaque de ce côté-ci, nous trouverons le reste de la montagne d’autant moins gardé, vu que les ennemis resteront en bien plus grand nombre sur le point à défendre.