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On campe la nuit autour de grands feux ; car il y avait beaucoup de bois au campement ; mais les derniers arrivés ne trouvent plus de bois. Les premiers venus, qui avaient allumé du feu, ne permettent aux autres de s’en approcher qu’après s’être fait donner du blé ou quelque autre comestible. On se communique de part et d’autre ce que l’on avait. Où l’on allumait du feu, la neige fondait, et il se faisait jusqu’au sol ie grands trous qui permirent de mesurer la hauteur de la neige.

On marche tout le jour suivant dans la neige, et beaucoup d’hommes sont atteints de boulimie[1]. Xénophon, à l’arrière-garde, en ayant rencontré qui gisaient à terre, ne savait pas quelle maladie ils avaient ; mais, ayant appris d’un soldat, qui connaissait ce mal, que c’étaient les symptômes évidents de la boulimie, et que, s’ils avaient à manger, ils seraient bientôt debout, il court aux équipages, et tout ce qu’il peut trouver de comestibles, il les donne ou les envoie donner aux malades par ceux qui sont en état de courir. Dès qu’ils ont pris un peu de nourriture, ils se lèvent et continuent leur marche.

Chirisophe, à la nuit tombante, arrive à un village et rencontre des femmes et des filles du pays qui portaient de l’eau près de la fontaine située devant le fort. Elles demandent aux Grecs qui ils sont. L’interprète leur répond en perse que ce sont des troupes envoyées au satrape par le roi. Elles répondent que le satrape n’est pas là, mais à la distance d’une parasange environ. Comme il était tard, on entre dans le fort avec les porteuses d’eau et l’on se rend auprès du comarque[2]. De cette manière Chirisophe, et tout ce qui a pu suivre l’avant-garde, se loge en cet endroit. Quant aux autres soldats, ceux qui ne peuvent arriver passent la nuit en route, sans nourriture et sans feu : il y en eut qui périrent.

Quelques ennemis, qui s’étaient réunis à la poursuite des Grecs, prennent ceux des équipages qui n’ont pu suivre, et se battent entre eux pour le partage. On laisse aussi en arrière des soldats que la neige avait aveuglés, ou à qui le froid avait gelé les doigts des pieds. On se garantissait les yeux contre la neige en mettant devant quelque chose de noir, quand on marchait, et les pieds en les remuant, en ne prenant pas de repos, en se déchaussant pour la nuit. À tous ceux qui s’endormaient chaussés, les courroies pénétraient dans les pieds et les sandales se durcissaient par la gelée : car, les premières chaussures se

  1. Faim maladive, accompagnée de défaillances.
  2. Le chef du village.