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quel est l’autre animal dont l’âme soit capable de reconnaître l’existence de ces dieux qui ont ordonné cet ensemble de corps immenses et splendides ? Quelle autre espèce, sauf les hommes, rend un culte aux dieux ? Quelle autre âme que celle de l’homme est plus en état de se prémunir contre la faim, la soif, le froid, le chaud, de guérir les maladies, de développer la force par l’exercice, de travailler pour acquérir la science, de se rappeler ce qu’elle a vu, entendu ou appris ? N’est-il pas évident pour toi qu’entre les autres animaux les hommes vivent comme les dieux, supérieurs par la nature de leur corps et de leur âme ? Avec le corps d’un bœuf et l’intelligence d’un homme, il serait impossible d’exécuter ce que l’on voudrait, à ce point que les êtres pourvus de mains, mais dénués d’intelligence, n’en sont pas plus avancés : et toi, qui as reçu ces deux avantages si précieux, tu ne crois pas que les dieux s’occupent de toi ? Que faudra-t-il donc qu’ils fassent pour t’en convaincre ? — Qu’ils m’envoient, comme tu dis qu’ils t’en envoient à toi-même, des avis sur ce que je dois faire ou ne point faire. — Mais quand ils parlent aux Athéniens qui les interrogent au moyen de la divination, crois-tu qu’ils ne te parlent pas aussi ? Et de même, lorsque par des prodiges ils manifestent leur volonté aux Grecs, à tous les hommes, es-tu le seul qu’ils aient choisi pour te laisser dans l’oubli ? Penses-tu que les dieux auraient mis dans les hommes cette croyance qu’ils sont capables de faire le bien et le mal, s’ils n’en avaient le pouvoir, et que les hommes, trompés par eux depuis tant de siècles, ne s’en seraient point encore aperçus ? Ne vois-tu pas que les établissements humains les plus antiques et les plus sages, les États et les nations, sont aussi les plus religieux, que les époques les plus éclairées sont celles de la plus grande piété ? Apprends, mon bon, que ton âme, enfermée dans ton corps, le gouverne comme il lui plaît. Il faut donc croire que l’intelligence qui réside dans l’univers dispose tout à son gré. Quoi ! ta vue peut s’étendre à plusieurs stades, et l’œil de la divinité ne peut tout embrasser à la fois ! Ton âme peut en même temps s’occuper de ce qui se passe ici, et en Égypte, et en Sicile, et l’intelligence de la divinité n’est pas capable de songer à tout dans un seul instant ! Certes, si, en obligeant les hommes, tu reconnais ceux qui veulent aussi t’obliger ; si, en leur rendant service, tu vois ceux qui sont prêts à te payer de retour ; si, en délibérant avec eux, tu distingues ceux qui sont doués de prudence ; de même, si en rendant hommage aux dieux tu essayes