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mémoires sur socrate.

secrets sont impénétrables à l’homme, puisque ceux même qui se piquent d’en parler le mieux sont loin d’être d’accord les uns avec les autres, mais se regardent mutuellement comme des fous. En effet, parmi les fous, les uns ne craignent pas ce qui est à craindre, les autres redoutent ce qui n’est pas à redouter : les uns pensent que l’on peut sans honte tout dire et tout faire en public ; les autres, qu’il ne faut avoir aucun commerce avec les hommes : les uns ne respectent ni temple, ni autel, ni quoi que ce soit de divin ; les autres honorent les pierres, les premiers bois, les premiers animaux venus. Quant à ceux qui se préoccupent de la nature de l’univers, ceux-ci affirment l’unité de l’être[1], ceux-là sa multiplicité infini[2]. Les uns croient au mouvement perpétuel des corps[3], les autres à leur inertie absolue[4]. Ici l’on prétend que tout naît et meurt[5] ; là, que rien n’a été engendré et que rien ne doit périr[6]. Il se demandait encore si, de même qu’en étudiant ce qui concerne l’homme on se propose de faire tourner cette étude à son profit et à celui des autres, ceux qui étudient ce qui concerne les dieux s’imaginent, une fois instruits des lois fatales du monde, pouvoir faire à leur gré les vents, la pluie, les saisons et tout ce dont ils auront besoin en ce genre, ou bien si, sans espérer rien de tel, il leur suffit de savoir comment se produit chacun de ces phénomènes. Voilà ce qu’il disait de ceux qui s’ingèrent dans ces sortes de recherches ; mais lui, il discourait sans cesse de tout ce qui est de l’homme, examinant ce qui est pieux ou impie, ce qui est beau ou honteux, ce qui est juste ou injuste ; ce que c’est que la sagesse ou la folie, la valeur ou la lâcheté, l’État ou l’homme d’État, le gouvernement et celui qui gouverne ; et ainsi des autres choses dont la connaissance, selon lui, est essentielle pour être vertueux, et dont l’ignorance fait mériter le nom d’esclave.

Qu’on se soit donc trompé sur ses pensées intimes, il n’y a rien qui doive étonner de la part de ses juges ; mais ce que tout le monde savait, n’est-il pas étonnant que ces mêmes juges s’y soient mépris ? Membre du sénat[7], il avait prononcé

  1. Les Éléates Xénophane, Parménide, Zénon et Mélissus.
  2. Les atomistes Leucippe et Démocrite.
  3. Héraclite ; cf. le Cratyle de Platon.
  4. École d’Élée. Cf. Aristote, Physiq., VI, IX.
  5. Les atomistes, les disciples d’Héraclite et l’école ionienne
  6. Les Éléates.
  7. « Le sénat athénien se composait de 500 membres tirés au sort annuellement, 50 dans chacune des dix tribus. Chacune de ces tribus, suivant un