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désirent vivement la paix, principalement les plus nombreux et les plus notables, et se réunissent pour se communiquer leur désir. Mais les Argiens, les Athéniens, les Béotiens, et ceux des Corinthiens qui avaient eu part aux largesses du roi, et qui étaient les fauteurs les plus actifs de la guerre, comprennent que, s’ils ne se débarrassent pas de ceux dont les esprits sont tournés vers la paix, ils courront grand risque de voir l’État retomber sous l’influence lacédémonienne : ils essayent de procéder par des massacres, et ils prennent la plus impie de toutes les mesures. Jamais, en effet, on n’exécute pendant une fête une sentence de mort, même édictée par la loi ; et ils choisissent le dernier jour des Eucléies[1], parce qu’ils espèrent pouvoir alors saisir sur l’agora un plus grand nombre de personnes à qui donner la mort. À un signal donné, ceux qui ont mission d’égorger leurs victimes tirent leurs épées, et frappent aussi bien celui qui est debout dans le cercle des citoyens que celui qui est assis ; celui qui est au théâtre que celui qui siége en qualité de juge. Aussitôt que ce massacre est connu, les premiers citoyens vont chercher un refuge, les uns vers les statues des dieux sur la place publique, les autres vers les autels. Là ces monstres impies, foulant aux pieds toute espèce de loi, ordonnateurs et exécuteurs, continuent leur boucherie devant le sanctuaire, si bien que quelques-uns de ceux qui ne sont point frappés, hommes d’ailleurs amis de la justice, se sentent l’âme pénétrée d’horreur à la vue de cette impiété. Ainsi périssent un grand nombre de citoyens les plus âgés ; car c’étaient eux qui se trouvaient en plus grande partie sur la place publique. Les plus jeunes, qui, sur l’avis de Pasimélus, avaient eu quelque soupçon de ce qui devait arriver, étaient restés tranquilles sur le Cranium[2]. Mais bientôt ils entendent les cris, quelques citoyens échappés au massacre arrivent à eux ; alors ils s’élancent dans l’Acrocorinthe[3] et repoussent les Argiens ainsi que les autres troupes qui viennent les assaillir. Pendant qu’ils délibèrent sur ce qu’ils doivent faire, ils voient tomber le chapiteau de la colonne[4] sans qu’il y ait eu vent ou tremblement de terre ; et, quand ils sa-

  1. Fêtes en l’honneur de Diane, adorée à Thèbes dans le temple que lui éleva Hercule, après la victoire qu’il remporta sur les Orchoméniens.
  2. Gymnase situé sur une colline voisine de Corinthe, et entouré d’un bois sacré.
  3. Montagne avec une citadelle qui domine Corinthe.
  4. C’était une colonne consacrée à Cybèle, mère des dieux.