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coup et la droite qui le porte. Le pied gauche est sur la même ligne que la main gauche, et le droit sur celle de la droite. Quand on est près de la bête, on lance l’épieu, en ne faisant pas un plus grand écart qu’à la lutte, le côté gauche tourné dans la direction de la main gauche ; après quoi l’on observe le front et les yeux de l’animal, et l’on surveille chaque mouvement de sa tête.

En poussant l’épieu, il faut avoir soin que le sanglier ne vous le fasse pas sauter des mains par une secousse de la tête, car il suit de près l’ébranlement qu’il a donné. En pareil cas, on doit se jeter la face contre terre, et tenir ferme tout ce qu’on y rencontre. La bête, vu la courbure de ses défenses, ne peut prendre en dessous le corps d’un homme ainsi couché : debout, on serait infailliblement blessé ; elle essaye, il est vrai, de relever le chasseur ; mais ne pouvant y parvenir, elle le foule aux pieds[1].

Le seul moyen d’échapper à un pareil danger, c’est que l’un des veneurs s’approche, un épieu à la main, pour irriter l’animal, en faisant mine de lancer l’épieu, sans le lancer en effet, de peur de blesser celui qui gît à terre. Le sanglier, voyant cela, laisse là le chasseur qu’il a sous lui et se retourne courroucé, furieux, contre celui qui l’irrite : l’autre alors se relève d’un saut, sans oublier, en se levant, de tenir son épieu, car il ne peut s’en tirer honorablement que par une victoire. Il revient donc à la charge avec son épieu de la manière que nous avons dite, dirige le fer vers la gorge, entre les deux omoplates, et l’enfonce de toute sa force. L’animal, en fureur, s’élance, et, si les traverses de la lame ne l’arrêtaient, il se jetterait le long du manche et arriverait à celui même qui tient l’arme.

La force de cet animal est telle qu’on ne saurait s’en faire une idée : au moment où il meurt, si l’on approche du poil de ses défenses, il se crispe, tant elles sont brûlantes. Lorsqu’il est vivant et qu’on l’irrite, elles sont de feu ; voilà pourquoi,

  1. Cf. Du Fouilloux : « Quand ils seront auprès du lieu où sera le sanglier, ils se doiuent escarter tout au tour du lieu où il est, allans d’vne course droit à luy, et n’est possible qu’ils ne luy donnent coup d’espee. Et ne faut pas qu’ils tiennent la main basse, car ils donneroient dedans la hure, mais faut qu’ils leuent la main haute et qu’ils donnent les coups d’espee en plongeant, se donnant garde le piqueur de donner au sanglier du costé de son cheual, mais de l’autre costé ; car du costé que le sanglier se sent blessé, il tourne incontinent la hure, qui seroit cause de quoy il tueroit ou hlesseroit son cheual. »