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ligne : nécessairement ainsi la masse du corps de bataille paraîtra plus grande et plus épaisse. D’un autre côté, s’il s’agit de paraître plus nombreux, il est évident qu’avec un terrain qui s’y prête on dissimulera les cavaliers en en laissant une partie à découvert et en cachant le reste : si le terrain est plat, il faut ranger les décades par pelotons, et faire avancer chaque section en observant les distances ; en même temps les cavaliers de chaque décade, placés en face de l’ennemi, tiendront leur lance droite, tandis que les autres la tiendront baissée et la pointe peu apparente. Cependant on peut intimider l’ennemi par de fausses embûches, de faux secours ou de fausses nouvelles, et il prend beaucoup de confiance quand il croit à son adversaire des embarras et des occupations.

Ces explications données, j’ajouterai qu’un commandant doit savoir ruser, pour donner immédiatement le change. Rien en guerre de si utile que la ruse. Les enfants eux-mêmes, quand ils jouent à pair ou non[1] (24), parviennent à tromper en faisant croire qu’ils ont plus, quand ils ont moins, et moins, quand ils ont plus. Comment des hommes faits, avec de la réflexion, ne pourraient-ils pas inventer semblables ruses ? Qu’on se rappelle les succès remportés à la guerre ; on verra que les plus nombreux et les plus brillants sont dus à la ruse. En conséquence, ou bien il ne faut pas se mêler de commander, ou bien, indépendamment des autres dispositions, il faut demander aux dieux le savoir-faire, et inventer à votre tour. Pour ceux qui sont près de la mer, une bonne ruse, c’est d’avoir l’air d’armer une flotte, et puis d’attaquer parterre, ou bien de feindre une attaque par terre et d’entreprendre par mer. Il est aussi d’un commandant de représenter à l’État combien est faible une cavalerie sans infanterie légère, afin qu’on lui en donne pour la mêler à ses cavaliers. C’est également son devoir de savoir en user. Or, il ne doit pas seulement cacher son infanterie parmi les cavaliers, mais derrière les chevaux, un cavalier étant beaucoup plus grand qu’un homme de pied.

Tous ces moyens d’ailleurs, et d’autres encore, dont peut s’ingénier quiconque veut vaincre l’ennemi, soit de ruse, soit

  1. Les mot ποσὶ δὲ ἅ, ποσιδεὰ, ou mieux ποσίδνα, qui sont dans le texte, ont désespéré les commentateurs. Je m’en suis référé au Dictionnaire de Passow, qui lit ποσίδνα, et qui traduit par les mots allemands Paar und Unpaar. — Cf. Aristote, Rhétoriq., III, v, trad. de M. Bonafous, p. 313, ainsi que la note p. 441.