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l’ennemi, lors même qu’ils se trouvent à distance, le risque de s’exposer à de grandes fatigues n’étantpas comparable à celui de combattre un ennemi plus fort. Si par hasard l’ennemi pénètre au milieu de tes cantonnements, fût-il en force, tu feras bien de l’attaquer par où tu pourras le prendre au dépourvu, tu feras bien même de le charger de deux côtés à la fois : car, tandis que les uns lâcheront pied sur un point, ceux qui chargeront l’ennemi sur un autre, le mettront en désordre et sauveront leurs amis.

Il a été question plus haut de l’importance qu’il y a à connaître par des espions les positions de l’ennemi ; je crois pourtant que le meilleur est d’essayer par soi-même, en se plaçant en lieu sûr, d’observer avec attention si l’ennemi pèche par quelque point : or, si l’on voit une chose à leur enlever par surprise, il faut envoyer qui la lui enlève ; s’il laisse à prendre, il faut envoyer qui lui prenne. Lorsque l’ennemi est en marche et qu’il se détache une faible portion de ses forces qui se disperse avec confiance, il ne faut pas l’ignorer : seulement on doit toujours mettre le plus fort à la piste du plus faible. La moindre attention suffit pour s’en convaincre. Ainsi, les animaux qui ont moins d’intelligence que l’homme, les milans[1], par exemple, se saisissent de ce qui n’est pas gardé, et se retirent en lieu sûr, avant de se laisser prendre : les loups également, chassent les bêtes sans gardiens et dérobent où l’on ne peut les voir[2]. S’il survient un chien faible, qui coure après eux, ils l’attaquent ; s’il est plus fort, ils étranglent ce qu’ils peuvent et se retirent. Quand ils méprisent la garde, ils se partagent, les uns pour la mettre en fuite, les autres pour voler, et voilà comme ils se procurent de quoi vivre. Si donc les brutes sont capables de tant d’intelligence pour saisir leur proie, comment l’homme n’en montrerait-il pas encore davantage, puisqu’il sait l’art de les prendre elles-mêmes ?

  1. Il y en avait beaucoup dans la campagne d’Athènes. Voy. de Pauw, Recherches philosophiques, t. I, p. 96. Cf. Aristophane, Oiseaux, p. 283 de la traduction de M. Artaud.
  2. Voy. Élien, Hist. des anim., VIII, xiv.