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y a une grande différence entre un chef qui connaît la route et celui qui ne la connaît pas ; une grande différence, quand il s’agit de tendre un piége à l’ennemi, entre celui qui connaît le terrain et celui qui ne le connaît pas. Il faut encore, avant la guerre, avoir soin de se procurer des espions qui appartiennent à des villes amies des deux partis, et surtout des marchands ; attendu que toutes les villes donnent toujours entrée, comme amis, à ceux qui apportent quelque denrée. On peut aussi tirer partie des faux transfuges.

Cependant on ne doit pas se fier aux espions au point de ne pas se tenir sur ses gardes : on se tiendra toujours prêt, comme si l’on avait annoncé que les ennemis sont là. Car, quelque sûrs que soient les espions, il est difficile d’avertir à temps : à la guerre, il y a toujours des obstacles imprévus. Les sorties de la cavalerie seront moins connues de l’ennemi, si l’ordre est donné de bouche plutôt que par trompette ou par écrit. Il sera donc bon d’établir pour cela des décadarques, auxquels on adjoindra des pempadarques[1], afin que l’ordre soit transmis à un très-petit nombre de personnes ; et, de la sorte, on pourra étendre au besoin, sans confusion, le front de bataille, les pempadarques se portant à la tête au moment convenable.

Quand il s’agit d’éviter les surprises, j’approuve toujours les postes cachés et les sentinelles avancées : c’est un moyen de veiller tout ensemble à la sûreté des amis et de tendre des piéges aux ennemis. Ces détachements invisibles sont à la fois moins exposés à la surprise et plus redoutables : car, savoir qu’il y a quelque part un poste, mais en ignorer la position et la force, cela ôte toute confiance à l’ennemi ; tous les lieux deviennent forcément suspects : si, au contraire, les postes sont à découvert, il voit nettement ce qu’il doit craindre et ce qu’il peut tenter. Quand on aura établi des postes cachés, on tâchera d’attirer l’ennemi dans les embuscades, en plaçant en avant et à découvert quelques faibles escadrons. On l’attirera encore en plaçant d’autres postes à découvert, en deçà de ceux qui sont cachés : moyen de surprise aussi infaillible que le précédent. Cependant un chef prudent n’ira pas de gaieté de cœur s’exposer à un danger, à moins d’être certain d’avoir le dessus : en effet, servir par imprudence les intérêts de l’ennemi s’appellerait plus justement un acte de trahison que de courage. C’est encore une mesure prudente de se porter sur les côtés faibles de

  1. Chefs de 5 hommes.