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munes à tous les êtres : mais ce désir de la distinction n’existe ni dans la brute, ni chez tous les hommes ; en sorte que ceux chez lesquels existe naturellement l’amour de l’honneur et des louanges, diffèrent le plus des bêtes et ne sont pas seulement des êtres humains, mais des hommes. Vous avez donc raison, selon moi, d’endurer ce que vous supportez dans votre condition de tyrannie, puisque vous êtes plus honorés que les autres hommes ; il n’y a pas, en effet, de plaisir humain qui se rapproche plus de la divinité que la jouissance causée par les honneurs. »

Alors Hiéron : « Ah ! Simonide, reprit-il, tous les honneurs accordés aux tyrans me font l’effet des plaisirs que je t’ai dit qu’ils goûtent en amour. Nous avons reconnu qu’il n’y avait de jouissance ni dans les complaisances serviles, ni dans les faveurs arrachées : les hommages obséquieux, nés de la crainte, n’ont pas plus de valeur. Comment dire, en effet, que des hommes qui se lèvent par force de leur siége, le font afin de rendre hommage à un injuste pouvoir ; que ceux qui laissent le passage libre à leur supérieur, le font par déférence pour leur pouvoir injuste ? Le vulgaire fait des présents à ceux qu’il déteste, surtout au moment où il craint le plus d’en être maltraité ; mais ce sont là, selon moi, des actes qui tiennent de la servitude. Les honneurs, au contraire, me semblent provenir d’une source différente. Lorsque les hommes jugent un homme capable de leur rendre service ; que, dans l’espoir de jouir de ses bienfaits, ils ont ses louanges à la bouche ; qu’ils le considèrent comme leur bienfaiteur spécial ; qu’ils lui cèdent volontairement le pas ; que devant lui ils se lèvent par affection, non par crainte ; qu’ils le couronnent pour ses vertus patriotiques et pour sa bienfaisance et qu’ils lui accordent des largesses : c’est alors, à mon avis, que ceux qui donnent ces marques de respect, ont une véritable déférence, et que celui qu’ils en jugent digne est réellement honoré. Aussi, j’estime heureux celui qui reçoit ces hommages. J’observe qu’au lieu de lui tendre des piéges, on s’applique à écarter de lui tout malheur, à lui préparer une vie exempte de crainte, d’envie, de danger, tout heureuse. Le tyran, au contraire, comme condamné à mort par tous les hommes, à cause de son injustice, le tyran, Simonide, sache-le bien, passe dans les tortures et la nuit et le jour. »

À ces mots Simonide : « Mais d’où vient, Hiéron, répondit-il, si la tyrannie est une chose tellement misérable et si tu en es