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faire du bien à ses amis, quand on sait que celui qui a reçu le plus de nous, trouve le plus de plaisir à se dérober à nos yeux ? Car ce qu’on a reçu d’un tyran, il n’est personne qui le regarde comme sien, à moins qu’il ne soit hors de sa domination. Et comment peux-tu dire que le tyran surtout peut séduire ses ennemis, quand il sait que ses ennemis, ce sont tous ses sujets, qu’il ne peut ni tuer, ni emprisonner tous ? Car sur qui régnerait-il ? Mais tout en sachant qu’ils sont ses ennemis, il est obligé tout à la fois et de se garder d’eux et de s’en servir. Sache encore, Simonide, qu’à l’égard des citoyens qu’un tyran redoute, il éprouve de la gêne à les voir vivre, et de la peine à les faire mourir. C’est comme si l’on avait un bon cheval que l’on craindrait de voir faire quelque écart dangereux, on aurait de la peine à le faire mourir à cause de ses bonnes qualités, et de la peine à le laisser vivre, de peur qu’à l’usage il ne fît quelque écart dangereux dans un moment critique. On en peut dire autant de tout autre objet dont la possession est également incommode et utile : on souffre de le garder, on souffre de s’en défaire.



CHAPITRE VII.


Autres chagrins attachés à la tyrannie. — Bien qu’elle soit un mal insupportable, il y a danger à s’en dessaisir.


Lorsque Simonide eut entendu ces paroles : « Il me semble, Hiéron, dit-il, que l’honneur est quelque chose d’important, puisque, pour y atteindre, tous les hommes endurent tous les maux, bravent tous les dangers. Vous donc, à ce qu’il paraît, malgré tous les chagrins que tu dis attachés à la tyrannie, vous vous précipitez vers elle, afin d’être honorés, afin que tous obéissent à tous vos ordres sans résistance, que tout le monde ait les yeux sur vous, qu’on se lève à votre aspect, qu’on vous laisse le passage libre, et que tous ceux qui vous environnent vous rendent hommage par leurs paroles ou par leurs actions : tels sont, en effet, les égards qu’on a pour les tyrans, et même pour tous ceux que l’on révère. Quant à moi, Hiéron, je pense qu’une différence profonde entre l’homme et les autres animaux, c’est ce désir de distinction. Les jouissances du manger, du boire, du sommeil, de l’amour paraissent com-