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vivement charmé d’un objet, on éprouve pour ce même objet l’attachement le plus vif ? — Assurément. — Vois-tu que les tyrans s’approchent avec plus de plaisir que les particuliers des mets qu’on leur a préparés ? — Non, par Jupiter ; non, pas du tout ; ils ont même plus de dégoût, à le prendre en général. — As-tu observé, poursuivit Hiéron, ces nombreux assaisonnements qu’on sert aux tyrans, sauces piquantes, relevées et autres analogues ? — Oui vraiment, dit Simonide ; et je les crois même fort contraires à la constitution de l’homme. — Et pourquoi, je te le demande, dit Hiéron, ces sortes d’apprêts, si ce n’est le stimulant raffiné d’une âme affaiblie etblasée ? Pour ma part, je sais bien, et toi aussi probablement, que ceux qui mangent avec appétit n’ont aucun besoin de ces artifices. — Quant aux essences précieuses dont vous vous parfumez, reprit Simonide, je crois que ceux qui vous approchent en jouissent plus que vous-même, de même que celui qui mange des viandes d’un fumet désagréable n’en est pas incommodé, mais bien ceux qui l’approchent. — C’est tout à fait ainsi, dit Hiéron, que celui qui a des mets de toute espèce ne touche à rien avec appétit, tandis que celui qui ne mange que rarement d’un mets, en fait une chère délicieuse, quand on le lui sert, » Alors Simonide : « Les jouissances amoureuses, dit-il, me font bien l’effet d’être la seule cause pour laquelle vous aspirez à la tyrannie ; car, sur ce point, vous avez le choix de ce qu’il y a de plus beau. — Eh bien ! dit Hiéron, pour ce que tu dis, sache bien que nous sommes encore au-dessous des particuliers. Et, d’abord ce n’est qu’avec des femmes supérieures à nous par la richesse et par la puissance que nous pouvons contracter un mariage qui paraisse fort beau, et qui promette à l’époux de l’honneur et du plaisir ; le mariage entre égaux ne vient qu’en seconde ligne : quant à celui qui descend à une condition inférieure, il est réputé déshonorant et désavantageux. Or, un tyran, à moins d’épouser une étrangère, doit forcément se marier au-dessous de lui, et, dès lors, c’est une condition qui n’a rien d’aimable. Les soins d’une femme fière de sa haute fortune ont, certes, un grand charme, mais les respects d’un esclave n’ont rien de séduisant ; et, cependant, quand ils font défaut, c’est une source de dépits violents et de chagrins. Dans les amours masculines, le tyran a aussi beaucoup moins de jouissances que dans les plaisirs qu’on goûte avec les femmes. Ce qui ravit dans ces plaisirs, c’est l’amour partagé, il n’est personne qui l’ignore ; mais l’amour ne se plaît guère à loger au cœur d’un tyran : l’amour