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HIÉRON.


CHAPITRE PREMIER.


Comment les tyrans sont moins heureux que les particuliers.


Simonide le poëte[1], vint un jour auprès d’Hiéron le tyran[2] ; et tous deux étant de loisir : « Voudrais-tu bien, Hiéron, dit Simonide, me parler de choses que tu sais mieux que moi ? — Et quelles sont donc, dit Hiéron, les choses que je pourrais savoir mieux que toi, qui es un homme si célèbre ? — Je sais que tu as été un simple particulier[3] et que tu es maintenant un tyran. Il est vraisemblable qu’ayant fait l’épreuve de ces deux conditions, tu sais mieux que moi en quoi la vie du tyran diffère de celle des particuliers, relativement aux joies et aux chagrins de ce monde. — Comment donc ? dit Hiéron ; n’est-ce pas plutôt à toi, qui es en ce moment même un homme privé, de me tracer le tableau de la vie privée ? Je serais, par là, beaucoup mieux en état, je crois, de te montrer la différence

  1. Il y a eu plusieurs poètes du nom de Simonide. Celui que Xénophon introduit dans ce dialogue est Simonide d’Iulis, dans l’île de Céos, et qui fleurit dans le vie siècle avant l’ère chrétienne. Voy. pour plus amples détails, Alex. Pierron, Hist. de la litt. gr., p. 165 de la 1re édition.
  2. Ce n’est pas d’Hiéron, fils d’Hiéroclès, et l’ami des Romains, qu’il s’agit ici, mais d’un Hiéron qui vécut près de deux cents ans auparavant, et qui était frère de Gélon. La tyrannie de Gélon avait été si douce et si modérée, que les Syracusains lui donnèrent pour successeurs ses deux frères Hiéron et Thrasybule. Mais Hiéron ne ressemblait point à Gélon. Diodore de Sicile (XI, 48), le représente comme un homme passionné pour l’argent, et d’une humeur violente. Cela n’empêche pas cependant que Pindare ne l’ait exalté dans la Ire Olympique et dans la Ire Pythique. Il est vrai qu’Élien (Hist. div., IX, 1), lui attribue une âme forte, libérale, fidèle en amitié, et pleine de bienveillance fraternelle. Lequel croire de ces deux témoignages ? Il me semble que Xénophon a pris une sorte d’intermédiaire entre ces deux traditions. Son Hiéron est bon de sa nature, mais violent et cupide par intérêt et par nécessité. N’est-ce point là justement le côté instructif et moral de son livre ? C’est mon avis.
  3. Sous le règne de Gélon.