ne s’attacher qu’à la forme, c’est agir comme le fermier d’un champ : il ne prend aucun souci de l’améliorer, mais il cherche à en tirer, la saison venue, le plus de fruits possible. Celui, au contraire, qui se propose l’amitié, a plutôt quelque ressemblance avec le maître héréditaire d’un champ : de toute part il apporte ce qu’il peut pour embellir ce qu’il aime.
« En outre, tout mignon qui sait qu’en prêtant sa beauté il aura de l’ascendant sur un amant, doit commettre d’autres désordres ; mais celui qui est persuadé que, s’il cesse d’être beau et bon, il perdra toute tendresse, dirigera plutôt ses sentiments vers la vertu. C’est d’ailleurs un très-grand bien pour celui qui aspire à l’amitié d’un jeune homme que d’être lui-même dans la nécessité de pratiquer la vertu. Car il lui serait impossible, en faisant le mal, de donner l’exemple du bien à son ami, et, en se montrant sans pudeur ni tempérance, de rendre celui qu’il aime pudique et tempérant.
« J’ai à cœur de te prouver, Callias, continua Socrate, même d’après la mythologie, que non-seulement les hommes, mais les dieux et les héros ont plus prisé l’union de l’âme que le commerce du corps. Toutes les mortelles dont Jupiter a aimé la beauté, après avoir eu leurs faveurs, il les a laissées mortelles ; mais ceux dont il a aimé les âmes, il leur a donné l’immortalité. De ce nombre, dit-on, sont Hercule, les Dioscures et d’autres encore. Je prétends même que Ganymède a été transporté dans l’Olympe par Jupiter[1], moins à cause de son corps que de son âme. Son nom même en porte témoignage : il y a quelque part dans Homère[2] :
..... Il est ravi d’entendre.
Autrement dit : il se plaît à entendre ; et ailleurs :
..... Et dans son cœur sont de prudents desseins[3]
,
Ce qui veut dire qu’il a l’âme pleine de sages résolutions. C’est de la réunion de deux mots grecs signifiant ravi et desseins que se compose le nom de Ganymède[4] ; et ce n’est pas parce qu’il a un corps charmant, mais un charmant esprit, qu’il est ho-