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— Eh bien, Socrate, dit Callias, avertis-moi quand tu voudras apprendre à danser ; je me mettrai en face de toi, et nous étudierons ensemble. — Allons, dit Philippe, qu’on joue aussi de la flûte pour moi, je vais danser. »

Il se lève, en effet, et fait le tour de la salle, en imitant la danse du garçon et celle de la jeune fille. Et d’abord, comme on avait félicité ce jeune garçon de paraître embelli par ses attitudes, Philippe affecta dans ses vêtements un ridicule plus grand que nature. La jeune fille avait fait la roue en se renversant en arrière ; Philippe, en se courbant en avant, prétendait l’imiter. Enfin, on avait loué ce garçon de ce que tous ses membres étaient en action pendant la danse ; Philippe commande à la joueuse de flûte un rhythme plus vif, et en même temps agite tout ensemble sa tête, ses bras et ses jambes, jusqu’à ce que, n’en pouvant plus, il se jette sur un lit en disant : « La preuve, mes amis, que ma danse même est un bon exercice, c’est que je meurs de soif : hé ! garçon, emplis-moi la grande coupe. — Oui, dit Callias, et à nous aussi ; tu nous as donné soif à nous faire rire. » Alors Socrate : « Buvons donc, amis, c’est aussi mon sentiment. Le vin, en arrosant nos esprits, endort les chagrins, comme la mandragore assoupit les hommes : quant à la joie, il l’éveille comme l’huile la flamme. Selon moi, le corps[1] de l’homme éprouve ce qui arrive aux végétaux dans la terre. Si la divinité arrose trop les semences, elles ne peuvent lever ni se prêter au souffle de la brise ; si elles ont juste de quoi boire, elles lèvent, se développent, fleurissent et arrivent à fruit. De même, si nous buvons trop d’un coup, bientôt notre corps et notre âme chancellent et nous perdons haleine, loin de pouvoir parler ; mais si nos esclaves nous versent souvent dans de petites coupes, pour employer les paroles de Gorgias[2], le vin ne nous inspire pas la violence de l’ivresse, et nous descendons par la persuasion aux douceurs de l’enjouement, » Tout le monde fut de cet avis. Philippe ajouta que les échansons devaient imiter les bons conducteurs de chars, en faisant courir habilement les coupes ; ce qu’exécutèrent les échansons.

  1. J’ai adopté la leçon de Weiske qui lit σώματα, au lieu de celle de Dindorf qui porte συμποσία, banquet, ce dernier mot ne me paraissant pas correspondre aussi justement à l’autre membre de la comparaison.
  2. Pour cette locution grecque voyez Éd. Foss, De Gorgia Leontino commentatio, p. 53, — Cf. Lucien, Sur ceux qui sont aux gages des grands, 27