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choses ; mais je ne me suis point attaché à rapporter tous les détails du procès ; il m’a suffi de faire voir que Socrate avait attaché la plus grande importance à démontrer qu’il n’avait jamais été impie envers les dieux, ni injuste envers les hommes ; mais qu’il ne pensait pas devoir s’abaisser à des supplications pour échapper à la mort, qu’au contraire il était persuadé dès lors que le temps était venu de mourir. Ces sentiments éclatèrent davantage, quand la condamnation eut été prononcée. Car d’abord, étant invité à fixer lui-même le taux de l’amende, il ne voulut pas le fixer, et ne le permit point à ses amis. Mais il leur dit qu’en le fixant ce serait s’avouer coupable[1]. Ensuite, lorsque ses amis voulaient le dérober à la mort[2], il refusa, et leur demanda, en plaisantant, s’ils connaissaient hors de l’Attique quelque place inaccessible à la mort. Enfin, lorsque la sentence eut été prononcée, il dit : « Assurément, citoyens, ceux qui ont appris aux témoins à se parjurer en portant contre moi un faux témoignage, et ceux qui se sont laissé suborner doivent, de toute nécessité, se sentir coupables d’une grande impiété et d’une grande injustice. Mais moi, pourquoi me croirais-je au dessous de ce que j’étais avant ma condamnation, puisque je n’ai été convaincu d’avoir rien fait de ce dont on m’accuse ? Jamais je n’ai offert de sacrifices à d’autres divinités qu’à Jupiter, à Junon, et aux autres dieux ; jamais je n’ai juré que par eux ; jamais je n’en ai nommé d’autres. Quant aux jeunes gens, était-ce les corrompre que de les accoutumer à la patience et à la frugalité ? Et pour ce qui est de ces actions, contre lesquelles la loi prononce la mort, à savoir la profanation des temples, le vol avec effraction ; la vente des hommes libres, la trahison envers la patrie, nus accusateurs eux-mêmes n’osent pas dire que j’aie rien fait de pareil. En sorte que je me demande avec surprise où vous avez pu trouver chez moi quelque action qui méritât la mort. Aussi, comme je subis une mort injuste, ne dois-je pas avoir pour moi moins d’estime : car la honte ne retombe point sur moi, mais sur ceux qui m’ont condamné. Je trouve d’ailleurs une consolation dans Palamède, qui est mort presque comme moi[3]. Aujourd’hui même encore il est

  1. Cf. Cicéron, De l’orat., I, LIV.
  2. C’est le sujet du Criton de Platon.
  3. Cf. Platon, Apolog., xxxii.