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ces végétaux est également enduite. — Je vois tout cela, lui dis-je. — Eh bien, en le voyant, qu’y a-t-il que tu ne comprennes pas ? Ignores-tu, Socrate, comment on place une coquille par-dessus la terre grasse ? — Par Jupiter ! je n’ignore rien de ce que tu viens de dire, Ischomachus ; mais je songe en moi-même pourquoi, lorsque tu me demandais tout à l’heure sommairement si je savais planter, je t’ai dit non. Je me figurais n’avoir rien à dire sur la manière de planter ; puis, aux questions que tu as cherché à me faire, j’ai répondu, s’il faut t’en croire, ce que tu sais, toi l’agriculteur par excellence. Ainsi, Ischomachus, interroger, c’est donc enseigner ? Je me rappelle comment à l’instant même tu m’interrogeais sur chaque détail. Me conduisant à travers ce que je sais, tu m’as offert ensuite des idées analogues à celles que je ne croyais point avoir, et tu m’as fait voir que je les avais[1].

— Mais, reprit Ischomachus, si je te questionnais sur l’argent, à savoir s’il est de bon ou de mauvais aloi, pourrais-je te persuader que tu sais distinguer le vrai titre du faux ? Et de même pour la flûte, pourrais-je te convaincre que tu en sais jouer ? pour la peinture, que tu es peintre ? et successivement pour tous les autres arts ? — Peut-être que oui, puisque tu m’as prouvé que je savais l’agriculture, bien que je sache qu’on ne m’en a jamais donné de leçons. — Ce n’est pas tout à fait cela, Socrate. Mais depuis longtemps je te dis que l’agriculture est un art si ami de l’homme, si bienveillant, que, pour peu qu’on entende et qu’on voie, l’on y devient habile. C’est elle-même qui nous apprend à y réussir au mieux ; et, pour preuve immédiate, la vigne, en grimpant sur les arbres, quand elle a quelque arbre auprès d’elle, nous enseigne à lui donner un appui : lorsqu’elle étend ses pampres de tous côtés, quand ses raisins sont encore jeunes, elle enseigne à ombrager les parties exposées au soleil durant cette saison[2]. Lorsque le temps est arrivé où le soleil mûrit les raisins, en se dépouillant de ses feuilles, la vigne nous avertit de l’y mettre à nu pour aider à la maturité du fruit. Enfin, sa fécondité nous présentant ici des raisins mûrs, là des raisins encore verts, elle nous indique qu’il faut les cueillir comme les figues, à mesure qu’ils mûrissent. »

  1. Voy. la traduction de cette phrase par Cicéron dans Aulu-Gelle, Nuits attiques, XV, 5.
  2. C’est là le fond de la méthode socratique.