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CHAPITRE X.


Ischomachus raconte comment il a détourné sa femme de la coquetterie et d’un ridicule amour de la toilette.


« En entendant, reprit Socrate, la réponse de la femme d’Ischomachus, je dis : « Par Junon ! mon cher Ischomachus, voilà qui montre l’âme toute virile de ta femme. — Ce n’est pas tout, répondit-il ; je veux te raconter avec quelle résolution généreuse elle profita de mes avis. — Comment ? lui dis-je, parle ; pour ma part, j’éprouve beaucoup plus de plaisir à contempler la vertu d’une femme vivante, que si Zeuxis me faisait voir une belle femme créée par son pinceau. » Alors Ischomachus : « Un jour, Socrate, je la vis toute couverte de céruse, afin de paraître plus blanche qu’elle ne l’était, et de rouge pour se donner un faux incarnat ; elle avait des chaussures élevées, afin d’ajouter à sa taille[1]. « Réponds-moi, femme, lui dis-je ; me jugerais-tu plus digne de tendresse, moi qui vis en société de fortune avec toi, si je t’en faisais simplement l’exhibition, sans en rien surfaire, sans en rien déguiser, ou bien si je m’efforçais de te tromper en te disant que j’ai plus de bien que je n’en ai, en te montrant de l’argent de mauvais aloi, des colliers de

  1. Voici un passage des Recherches philosophiques de de Pauw, qui peut servir de commentaire à ce chapitre : « Ce qu’il y a de fort remarquable et de fort surprenant, c’est que le territoire d’Athènes, où l’on vit naître uni d’hommes en qui les facultés corporelles étaient portées à un si haut degré de perfection, ne produisit en aucun siècle, ni en aucun âge, des femmes célèbres par leur beauté. Si, au peu de grâces qu’elles avaient reçues de la nature, s’était joint encore le mépris des ornements, alors l’attrait qui devait réunir les sexes se serait de plus en plus affaibli. Et voilà ce qu’on tâcha de prévenir à Athènes, en y établissant cette magistrature si singulière (gynécosme) qui forçait sans cesse les femmes à se parer d’une manière décente. La rigueur de ce tribunal était extrême : il imposait une amende énorme de 1000 drachmes à des personnes qui étaient ou mal coiffées ou mal vêtues. Ensuite on inscrivait leur nom dans un tableau exposé aux yeux du peuple, de façon que l’infamie de la chose excédait la grandeur même du châtiment ; car les femmes dont le nom avait paru dans un tel catalogue étaient à jamais perdues dans l’esprit des Grecs. La sévérité de cette magistrature, au lieu de faire le bien qu’on en avait espéré, produisit un grand mal, auquel on ne s’était pas attendu : car les Athéniennes, pour se mettre à l’abri d’une censure si flétrissante, donnèrent dans un excès opposé, c’est-à-dire qu’elles se paraient trop, introduisirent dans les familles un luxe ruineux, adoptè-