Page:Xénophon - Œuvres complètes, éd. Talbot, tome 1.djvu/214

Cette page a été validée par deux contributeurs.

bouche, que, quand on n’en sait point tirer parti, les chevaux ne sont pas une valeur, pas plus que la terre, les brebis, l’argent ou toute autre chose, pour qui ne sait pas s’en servir. On peut bien de tout cela tirer des revenus ; mais, moi, comment veux-tu que je sache les faire valoir, quand de ma vie je n’ai eu rien de tel en propre ? — Cependant nous sommes convenus que, quand même on ne posséderait rien, il y aurait toujours une science économique. Qui t’empêche donc de l’avoir ? — Ce qui, par Jupiter ! peut empêcher un homme de savoir jouer de la flûte quand il n’a jamais eu de flûte à lui, et que personne ne lui en a prêté pour apprendre : voilà où j’en suis pour ce qui est de l’économie. L’instrument nécessaire pour apprendre, c’est-à-dire les biens, je n’en ai jamais eu, et jamais personne ne m’a prêté les siens à administrer, toi seul as maintenant cette idée. Or, ceux qui apprennent pour la première fois à jouer de la cithare gâteraient même les lyres[1] ; de même moi, si j’essayais sur ta maison l’étude de l’économie, je serais peut-être capable de la ruiner. » À cela Critobule répondit : « Tu as grande envie de m’échapper, Socrate, et tu ne veux pas me venir en aide pour m’alléger la charge des affaires que je suis contraint de porter. — Mais non, par Jupiter ! dit Socrate, je n’y songe point ; au contraire, tout ce que je sais, je m’empresserai de te l’apprendre. Je crois que, si tu venais me demander du feu, et que, n’en ayant pas, je te conduisisse où tu en pourrais prendre, tu ne te plaindrais pas de moi. De même pour de l’eau ; si tu m’en demandais et que, n’en ayant pas, je te conduisisse où tu pourrais aussi t’en procurer, je suis sûr que tu ne m’en voudrais pas davantage. Enfin si, me priant de t’enseigner la musique, je t’adressais à des maîtres plus habiles que moi et qui, de plus, te sauraient gré de prendre leurs leçons, sur cela, quel reproche aurais-tu à me faire ? — Aucun du moins qui fût fondé, Socrate. — Eh bien, Critobule, je vais t’indiquer des gens plus habiles que moi dans la science dont tu me pries en ce moment de te donner des leçons. J’avoue que j’ai soigneusement cherché quels sont, dans tous les genres, les meilleurs maîtres de notre ville : car,

  1. Il y avait une différence entre les lyres et les cithares. La grande lyre, appelée barbitos, se jouait avec un plectrum, espèce d’archet, et les branches en étaient ajustées sur un magas ou coffret qui augmentait la sonorité des cordes ; la petite lyre, dite chelys ou cithare, était beaucoup moins grande, et l’on en pinçait directement avec le doigt les cordes adaptées à des branches qui avaient pour base une carapace de tortue mise de champ.