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Cela me paraît convenable. — Veux-tu donc que, plaçant toutes ces actions du côté que tu désignes, nous établissions pour principe qu’elles sont justes contre des ennemis, mais injustes envers des amis, et qu’on doit être avec ces derniers d’une entière droiture ? — Très-volontiers, dit Euthydème. — Eh bien, reprit Socrate, si un général, qui voit son armée découragée, lui annonce faussement que les alliés s’approchent, et que, par ce mensonge il rende le courage à ses soldats, de quel côté placerons-nous cette tromperie ? — À mon avis, ce sera du côté de la justice. — Et si quelqu’un, ayant un fils qui a besoin d’un remède et qui ne veut pas le prendre, le trompe en lui donnant ce remède comme un aliment, et par ce mensonge lui rend la santé, de quel côté placerons-nous encore cette tromperie[1] ? — Selon moi, du côté de la première. — Enfin, si l’on voit un ami plongé dans le désespoir, si l’on craint qu’il n’attente à ses jours, et qu’on lui dérobe ou qu’on lui arrache son épée ou n’importe quelle arme, de quel côté placer cette action ? — Par Jupiter, c’est également du côté de la justice. — Tu dis donc qu’on n’est pas tenu à une entière droiture, même envers ses amis ? — Non pas, par Jupiter, et je rétracte ce que j’ai dit, si toutefois cela m’est permis. — Mieux vaut cette permission, reprit Socrate, qu’une classification défectueuse. Mais pour ne pas laisser ce point sans examen, de ceux dont les tromperies nuisent à leurs amis, quel est le plus injuste, celui qui trompe volontairement ou bien involontairement ? — Certes, Socrate, je n’ai plus de confiance dans mes réponses ; car tout ce dont nous avons parlé me paraît maintenant tout autre que je le croyais : cependant qu’il me soit permis de dire que celui qui trompe volontairement est plus injuste que celui qui trompe involontairement. — Mais penses-tu qu’il y ait une étude, une science du juste, comme il y en a une des lettres ? — Je le pense. — Et lequel connaît mieux les lettres, à ton avis, de celui qui écrit ou lit mal volontairement, ou bien de celui qui le fait involontairement ? — Celui

  1. Cf. Lucrèce, De natura, I, 9, et cette imitation du Tasse :

    Cosi all’ egro fanciul porgiamo aspersi
    Di soave licor gli orli del vaso :
    Succhi amari ingannato intanto ei beve
    E dall’ inganno suo vita riceve.


    « Ainsi nous présentons à un enfant malade les bords d’un vase imprégnés d’une suave liqueur : dupé, il boit les sucs amers, et de cette duperie même reçoit la vie. »