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portait mes hardes et le reste de mon bagage. — Et comment s’est-il tiré du chemin ? — Il m’a paru s’en tirer mieux que moi. — Bon ! et s’il t’avait fallu porter le fardeau de ce valet, comment t’en serais-tu trouvé ? — Fort mal, par Jupiter ! ou plutôt je n’aurais pas pu le porter. — Eh bien ! supporter la fatigue moins bien qu’un esclave te paraît-il le fait d’un homme libre et exercé à la gymnastique ? »


CHAPITRE XIV.


Réflexions de Socrate sur la bonne chère et la frugalité.


Quand ses amis venaient souper chez lui, et que les uns apportaient peu et les autres beaucoup, Socrate ordonnait au valet de mettre le plus petit plat en commun ou d’en distribuer une part à chaque convive. Ceux qui avaient apporté un mets plus considérable auraient eu honte et de ne pas prendre part à ce qui était mis en commun, et de n’y pas mettre leur plat ; ils se trouvaient donc obligés de le faire ; et, comme ils n’avaient rien de plus que ceux qui avaient apporté moins, ils cessèrent d’apporter des plats coûteux.

Ayant remarqué qu’un des convives ne mangeait pas de pain et ne prenait absolument que de la viande, et la conversation étant tombée par hasard sur la propriété des mots, à quel genre d’action doit s’appliquer chaque épithète : « Pourrions-nous trouver, mes amis, dit-il, ce qui fait appeler un homme gourmand ? Tout le monde mange de la viande avec son pain, quand il y a de la viande ; mais il me semble que ce n’est pas là ce qui fait qu’on appelle les gens gourmands. — Non, certes, dit l’un des convives. — Bien ! mais celui qui mange la viande sans pain, non par besoin, comme les athlètes, mais pour son plaisir, est-ce un gourmand, oui ou non ? — Il est difficile d’appeler gourmand un autre homme. — Mais, dit un autre, celui qui avec peu de pain mange beaucoup de viande ? — Moi, dit Socrate, je trouve que celui-là mérite bien d’être appelé gourmand ; et, quand les autres demandent aux dieux abondance de fruits, il doit demander abondance de viande. » Pendant que Socrate parlait ainsi, le jeune homme, voyant qu’il était l’objet de la conversation, ne cessa pas de