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vous quelque artifice pour cela ? — Comment voulez-vous que j’emploie un artifice ? — Bien plus facilement, ma foi, que les araignées ! Vous savez comment elles vont à la chasse de leur gibier : elles tissent une toile subtile, et tout ce qui vient à y tomber leur sert de nourriture. — Vous me conseillez donc aussi de tisser une toile à gibier ? — Il ne faut pas croire qu’on doive aller sans art à la chasse des amis, la plus belle des prises. Ne voyez-vous pas toutes les finesses des chasseurs pour prendre les lièvres, gibier bien moins précieux ? Comme les lièvres broutent la nuit, on se procure des chiens qui voient clair durant l’obscurité, et on les met sur la piste de la bête. Le jour, les lièvres se remettant à courir, on se procure d’autres chiens qui, au moment où ils retournent de la pâture au gîte, les éventent au fumet et les trouvent. Les lièvres ont de si bonnes jambes qu’on a peine à les suivre de l’œil dans leur fuite : on dresse d’autres chiens assez vites pour les prendre à la course. Il y en a, malgré cela, quelques-uns qui échappent ; alors on tend des filets dans les sentiers par lesquels ils se sauvent, afin qu’ils y tombent et restent pris[1]. — Mais quel moyen pareil puis-je employer pour la chasse aux amis ? — Il faut, ma foi, en place de chien, avoir quelqu’un qui se mette sur la piste des amateurs de la beauté et des richards, qui en trouve, et qui, en ayant trouvé, s’ingénie des moyens de les jeter dans vos filets. — Mais quels filets ai-je donc ? — Un seul, ma foi, mais le plus inextricable de tous, votre corps, et dans ce corps une âme qui vous enseigne le charme des regards, la séduction des paroles, qui vous apprend à faire accueil à qui vous recherche, à éconduire qui vous dédaigne, à visiter avec empressement un ami malade, à féliciter chaudement quiconque a bien agi, à reconnaître de toute votre âme les soins dévoués qu’on vous a rendus. Car je sais qu’un amant vous montre autant de tendresse que de bienveillance ; et, si vous avez des amants illustres, je sais que vos actions ne les engagent pas moins que vos paroles. — Par Jupiter ! dit Théodote, je ne m’ingénie d’aucun de ces moyens. — Il n’est pourtant pas indifférent de savoir agir avec chacun précisément d’après son caractère, car ce n’est jamais par force qu’on se crée ou qu’on garde un ami : bienveillance et plaisir sont l’amorce qui prend et retient semblable gibier. — Vous dites vrai. — Il faut donc d’abord faire en sorte que ceux qui vous recherchent ne vous accordent que ce qui leur coûte le

  1. Cf. De la chasse, chap. v et suivants.