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CHAPITRE IX.


Pensées diverses de Socrate sur le courage, la tempérance, la sagesse, l’envie, le loisir, le pouvoir politique et le bonheur[1].


Un jour, on lui demandait si le courage est une qualité acquise ou naturelle : « Je crois, dit-il, que, comme on voit des corps dont la nature résiste mieux que d’autres à la fatigue, il y a des âmes dont la nature est plus énergique que les autres contre les difficultés : car je vois des hommes, élevés sous les mêmes lois et dans les mêmes mœurs, différer beaucoup entre eux par le courage. Seulement, je pense que la valeur naturelle peut être augmentée par l’instruction et par l’exercice : il est clair que les Scythes et les Thraces n’oseraient pas, avec la pique et le bouclier, s’attaquer aux Lacédémoniens, et que les Lacédémoniens ne tenteraient pas de résister aux Thraces avec le bouclier léger et le javelot, ni aux Scythes avec la flèche. Je vois qu’en tout les hommes diffèrent naturellement les uns des autres, qu’en tout ils font des progrès par l’exercice ; et de là il est évident que les hommes les mieux doués ou les plus maltraités de la nature, doivent, quand ils veulent exceller en quelque partie, prendre des leçons et s’exercer. »

La sagesse[2] ne se séparait point, selon lui, de la tempérance ; mais celui qui, connaissant le bien et le beau, les met en pratique, et qui, connaissant le mal, sait s’en garder, passait à ses yeux pour un homme sage et réservé. On lui demandait s’il considérait ceux qui savent ce qu’on doit faire, et qui font néanmoins le contraire, comme des gens sages et tempérants : « Je pense, dit-il, qu’ils ne sont pas moins dépourvus de sagesse que de tempérance. Car je crois que tous les hommes choisissent entre toutes les actions possibles celles qui doivent leur être les plus avantageuses. Je pense donc que ceux qui n’agissent pas avec droiture ne sont ni sages, ni réservés. » Il disait que la justice et toutes les autres vertus se

  1. Reiske considère ce chapitre comme un de ceux qui font le mieux connaître la philosophie pratique de Socrate.
  2. C’est la vertu que les latins appellent prudentia, mot qu’ils appliquent non-seulement au bon sens, aux lumières naturelles, mais aux connaissances acquises par la culture de l’intelligence.