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été choisir un Antisthène, qui n’a jamais servi comme hoplite[1], qui n’a jamais rien fait de saillant dans la cavalerie, et qui ne sait rien qu’amasser de l’argent. — Mais, reprit Socrate, n’est-ce pas une qualité excellente, si elle lui sert à procurer le nécessaire aux soldats ? — Les marchands aussi, dit Nicomachide, sont bons à amasser de l’argent, mais ce n’est pas une raison pour qu’ils puissent commander une armée. » Alors Socrate : « Mais Antisthène est aussi passionné par la gloire, qualité nécessaire à un général. Ne vois-tu pas que, toutes les fois qu’il a été chorége[2], son chœur l’a emporté sur tous les autres ? — Par Jupiter, dit Nicomachide, autre chose est d’être à la tête d’un chœur ou d’une armée. — Cependant, reprit Socrate, Antisthène, qui ne sait pas chanter, qui est incapable d’instruire des chœurs, a eu, malgré cela, le talent de choisir les meilleurs artistes. — Il trouvera donc aussi à l’armée, dit Nicomachide, des gens qui mettront pour lui les troupes en bataille, et qui combattront à sa place. — Si donc, reprit Socrate, il sait trouver et choisir les meilleurs soldats, comme il a choisi les meilleurs choristes, il pourrait bien aussi remporter la palme guerrière ; et il est vraisemblable qu’il aimera mieux encore se mettre en dépense pour triompher à la guerre avec toute la république, qu’avec sa tribu seule dans les chœurs. — Tu dis donc, Socrate, que le même homme peut être à la fois bon chorége et bon stratége ? — Je dis, qu’un homme qui, placé à la tête de quoi que ce soit, sait ce qu’il faut et se le procure, sera un excellent directeur, qu’on le place à la tête d’un chœur, d’une maison, d’une ville, d’une armée. » Alors Nicomachide : « Par Jupiter, Socrate, je n’aurais jamais cru t’entendre dire qu’un bon économe peut être bon général. — Eh bien, examinons les devoirs de l’un et de l’autre, et voyons s’ils sont les mêmes ou s’ils sont différents. — Voyons. — Et d’abord s’entourer de subordonnés obéissants et dociles, n’est-ce pas le devoir de l’un et de l’autre ? — Assurément. — Maintenant ne doivent-ils pas imposer à chacun les fonctions qu’il peut remplir ? — C’est juste. — Je crois qu’ils sont également tenus de châtier les lâches et de récompenser les bons. — Certainement. — Tous deux ne feront-ils pas bien

  1. Soldat de la grosse infanterie.
  2. Nous avons vu que la chorégie était une de ces prestations auxquelles étaient astreints les citoyens riches. Le chorége devait, à ses frais, réunir, nourrir, costumer et faire instruire les chœurs destinés à figurer dans toutes les cérémonies publiques et au théâtre.