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en dessous, on se voyait avec plaisir ; elles aimaient Aristarque comme un protecteur, et Aristarque les chérissait pour leurs services. Enfin, celui-ci vint gaiement conter l’aventure à Socrate, et lui dit que ses parentes lui reprochaient d’être le seul de la maison qui mangeât sans rien faire. « Eh ! dit Socrate, que ne leur contes-tu la fable du chien ! On dit que, du temps que les bêtes parlaient, la brebis dit à son maître : « Ta conduite est bien étrange ; nous qui te fournissons de la laine, des agneaux, du fromage, tu ne nous donnes rien que nous ne soyons obligées d’arracher à la terre ; et ton chien, qui ne te rapporte rien, tu partages avec lui ta propre nourriture. » Le chien, qui l’avait entendue, lui dit : « Il a raison, par Jupiter ! car c’est moi qui vous garde et qui vous empêche d’être enlevées par les hommes ou ravies par les loups : si je ne veillais sur vous, vous ne pourriez paître, dans la crainte de périr. » On ajoute qu’alors les brebis consentirent à ce que le chien leur fût préféré. Va donc dire aussi à tes parentes que tu les gardes et que tu les surveilles comme le chien de la fable ; que, grâce à toi, elles ne sont insultées par personne, et qu’elles peuvent, sans crainte et sans chagrin, continuer leur laborieuse existence. »


CHAPITRE VIII.


Socrate engage le journalier Euthère à choisir un genre de vie plus convenable.


Un jour, après une longue séparation, il rencontra un autre vieux camarade. « D’où viens-tu donc, Euthère[1], lui dit-il ? — Sur la fin de la guerre[2], Socrate, je suis revenu d’un voyage, et maintenant me voici. J’ai perdu les biens que j’avais au delà des frontières ; mon père ne m’a rien laissé en Attique, et je suis forcé aujourd’hui, à mon retour, de faire œuvre de mes mains pour me procurer le nécessaire : cela m’a paru meilleur que de rien demander à personne, d’autant que je n’ai rien sur quoi je puisse emprunter. — Et combien de temps crois-tu que ton corps ait la force de travailler pour te procurer le nécessaire moyennant un salaire ? — Pas longtemps, ma foi ! —

  1. On ne le connaît que par ce passage.
  2. La guerre du Péloponèse, qui ruina un grand nombre d’Athéniens. Cf. Gouvernement des Athéniens, chap. I ; Banquet, IV.