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donc tu as quelque chose à me dire sur le moyen de gagner des amis, parle. — Jamais, dit Socrate, tu ne mettras bouche contre bouche. — Sois tranquille, je ne presserai plus mes lèvres sur les lèvres de quelqu’un, s’il n’est beau. — Te voilà tout de suite, Critobule, faisant le contraire de ce qu’il faut ; ceux qui sont beaux ne souffrent pas volontiers ces libertés, mais ceux qui sont laids les tolèrent, convaincus qu’on les croit beaux sous le rapport de l’âme. » Alors Critobule : « Eh bien ! mes baisers, en allant trouver ceux qui sont beaux, ne s’adresseront qu’à ceux qui sont bons : sois donc tranquille, et dis-moi l’art de chasser aux amis. » Alors Socrate : « Quand tu voudras te lier avec quelqu’un, tu me laisseras te dénoncer à lui, lui dire que tu l’admires et que tu désirerais être son ami. — Dénonce-moi, dit Critobule ; je sais que personne ne déteste la louange. — Et si je t’accuse, en outre, d’éprouver une bienveillance née de ton admiration pour lui, ne croiras-tu pas que je te calomnie ? — Loin de là, car j’éprouve moi-même de la bienveillance pour ceux que je suppose en éprouver pour moi. — Je pourrai donc dire tout cela à ceux dont tu voudras gagner l’amitié ; et si tu m’autorises à dire encore que tu prends soin de tes amis, que ton plus grand bonheur est d’en avoir de vertueux, que tu es fier de leurs belles actions comme si c’étaient les tiennes, que tu es heureux de leur prospérité comme de la tienne propre, que pour assurer leur bien aucune peine ne rebute ta patience, que tu as pour maxime que la vertu d’un homme est de vaincre ses amis en bienfaits, ses ennemis en outrages ; je crois que je pourrais t’être un auxiliaire fort utile dans ta chasse aux bons amis. — Pourquoi donc, repartit Critobule, me parler ainsi, comme si tu ne pouvais pas dire de moi tout ce que tu veux ? — Non, par Jupiter, je ne le puis, moi qui un jour ai entendu dire à Aspasie[1]

  1. « Aspasie de Milet, fille d’Axiochus, femme d’une grande beauté, d’une moralité plus que suspecte, mais d’un esprit très-distingué, vint enseigner l’éloquence à Athènes, où les premiers personnages de la république suivirent ses leçons. Les maris y conduisaient leurs femmes. Socrate et Périclès furent au nombre de ses auditeurs, et on peut voir dans le Mènexène de Platon, malgré une légère teinte d’ironie dans le préambule de ce dialogue, quel cas Socrate faisait de ses talents. Périclès répudia sa femme pour épouser Aspasie, qui exerça une grande influence sur les affaires politiques de la Grèce. Ici Xénophon nous fait connaître une réflexion fort sensée d’Aspasie sur la manière d’arranger des mariages. Peut-être s’occupait-elle de cette bonne œuvre, depuis qu’elle avait épousé son élève Périclès. Lorsqu’il fut mort, elle se remaria, dit-on, à Lysiclès, riche marchand de bestiaux, qui,