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pour faire briller ses charmes, se contemplant sans cesse, observant si quelque autre la regarde, et tournant souvent la tête afin de voir son ombre. Arrivées plus près d’Hercule, tandis que la première conserve la même démarche, la seconde, voulant la prévenir, court vers le jeune héros et lui dit : « Je te vois, Hercule, incertain de la route que tu dois suivre dans la vie : si tu veux me prendre pour amie, je te conduirai par la route la plus agréable et la plus facile, tu goûteras tous les plaisirs, et tu vivras exempt de peine. D’abord tu ne t’occuperas ni de guerres, ni d’affaires, mais tu ne cesseras d’examiner[1] quels mets et quelles boissons t’agréent le plus, les objets qui peuvent réjouir tes yeux et tes oreilles, flatter ton odorat ou ton toucher, quelles affections auront le plus de charmes pour toi, comment tu dormiras avec le plus de mollesse, comment avec le moins de peine tu pourras te procurer toutes ces jouissances. Si jamais le soupçon te vient de manquer de ce qui est nécessaire pour te donner des douceurs, ne crains pas que je t’engage à travailler et à peiner du corps et de l’esprit pour les acquérir ; tu tireras profit du labeur des autres, et tu ne t’abstiendras de rien de ce qui pourra t’apporter quelque gain : car je donne à ceux qui me suivent la faculté de prendre leurs avantages partout. »

Hercule, après avoir entendu ces mots : « Femme, dit-il, quel est ton nom ? — Mes amis, répond-elle, me nomment la Félicité, et mes ennemis, pour me donner un nom odieux, m’appellent la Perversité. » Alors l’autre femme s’avançant : « Je viens aussi vers toi, Hercule, dit-elle ; je connais ceux qui t’ont donné le jour, et, dès ton enfance, j’ai pénétré ton caractère. Aussi j’espère, si tu prends la route qui mène vers moi, que tu seras un jour l’auteur illustre de beaux et glorieux exploits, et que moi-même je me verrai plus honorée et plus considérée par les hommes vertueux. Je ne t’abuserai point par des promesses de plaisirs, mais je t’exposerai « e qui est avec vérité, et tel que les dieux l’ont établi. Ce qu’il y a de réellement honnête et beau, les dieux n’en accordent rien aux hommes sans peine et sans soin. Mais si tu veux que les dieux te soient propices, il faut rendre hommage aux dieux ; si tu veux que tes amis te chérissent, tu dois faire du bien à tes amis ; si tu désires qu’un pays t’honore, tu dois rendre

  1. Je lis, avec M. H. Martin, σκοπούμενος διέσῃ au lieu de ἔσῃ δή, donné par Weiske, et διοίσῃ par Dindorf, et je traduis en conséquence.