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LIVRE II


CHAPITRE PREMIER.


Entretien de Socrate avec Aristippe de Cyrène au sujet des plaisirs et de la tempérance. Apologue de Prodicus.


Il me semblait encore que Socrate, par de semblables discours, exerçait ses disciples à pratiquer l’abstention en face de la bonne chère, du vin, de la lubricité, du sommeil, et la résistance au froid, à la chaleur, à la fatigue. Sachant que l’un d’eux s’abandonnait sans retenue à tous ces excès : « Dis-moi donc, Aristippe[1], lui dit-il, si l’on te mettait dans l’obligation d’élever deux jeunes gens, l’un pour être capable de commander, l’autre pour ne point rechercher le pouvoir, comment formerais-tu chacun d’eux ? Veux-tu que notre examen commence par la nourriture, c’est-à-dire par les premiers éléments ? — Oui, répondit Aristippe ; car la nourriture me paraît être le principe de l’éducation : sans la nourriture, il serait impossible de vivre. — N’est-il pas probable qu’à l’heure des repas tous les deux voudront prendre des aliments ? — Sans aucun doute. — Si cependant il faut s’occuper d’une affaire pressante au lieu de satisfaire son appétit, auquel des deux en ferons-nous prendre l’habitude ? — Par Jupiter, à celui qui est élevé pour commander, afin que les affaires de l’État ne soient pas en souffrance pendant sa gestion. — Et lorsqu’ils

  1. C’est le fameux Aristippe de Cyrène, fondateur d’un système de morale qui fait consister le souverain bien dans l’émotion actuelle du plaisir, avec cette restriction qu’il faut en jouir sans en être l’esclave, et qu’on doit fuir les voluptés qui dégradent ou entraînent la douleur après elle. Voy. comment il est raillé par Lucien dans les Sectes à l’encan, 42. Cf. Dialog. des morts, XX, 4 ; Doubl. acc., 23 ; Hist. vér., II, 18. Nous verrons plus loin une autre discussion de Socrate avec Aristippe, livre III, chap. viii.