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NOS MAÎTRES

Voici pour la psychologie : « C’est une grande niaiserie que le Connais-toi toi-même de la philosophie grecque. Nous ne connaîtrons jamais ni nous, ni autrui. Aussi bien, est-ce faire un abus inique de l’intelligence que de l’employer à rechercher la vérité. Encore moins peut-elle nous servir à juger, selon la justice, les hommes et leurs œuvres. »

De l’histoire, si chère à M. Renan, M. France se défie tout autant que des autres sciences : « Y a-t-il une histoire impartiale ? Et qu’est-ce que l’histoire ? La représentation écrite des événements passés. Mais qu’est-ce qu’un événement ? Est-ce un fait quelconque ? Non pas, c’est un fait notable. Or, comment l’historien juge-t-il qu’un fait est notable ou non ? Il en juge arbitrairement, selon son goût et son caractère, à son idée, en artiste enfin. Un fait est quelque chose d’infiniment complexe. L’historien présentera-t-il les faits dans leur complexité ? Cela est impossible. Il les représentera dénués de presque toutes les particularités qui les constituent, par conséquent tronqués, mutilés, différents de ce qu’ils furent. Quant aux rapports des faits entre eux, n’en parlons pas. Si un fait dit historique est amené, ce qui est possible, ce qui est probable, par un ou plusieurs faits non historiques, et par cela même inconnus, comment l’historien pourra-t-il marquer la relation de ces faits et leur enchaînement ? Et je suppose dans tout ce que je dis là que l’historien a sous les yeux des témoignages certains, tandis qu’en réalité on le trompe et qu’il n’accorde sa confiance à tel ou tel témoin que par des raisons de sentiment. »