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LA VIE ET LES TRAVAUX DE WURTZ

opérations entraînant le dégagement de vapeurs ou de gaz nuisibles, mais pour celles que l’on faisait en vases scellés. Toute l’installation consistait en un coin dans lequel on plaçait sur les fourneaux des marmites d’huile, et dans celles-ci les tubes et les matras scellés. Quand un de ceux-ci venait à sauter, la marmite était généralement brisée, l’huile prenait feu et les tubes voisins étaient entraînés dans la catastrophe ; il ne faisait pas bon alors s’aventurer dans la cour, et même les habitants des maisons voisines vinrent se plaindre plus d’une fois de ces fusillades trop fréquentes.

Les places, peu nombreuses, comme on l’a vu, ne devenaient pas souvent vacantes. Un invincible attrait retenait tous ceux que les nécessités de leur carrière n’entraînaient pas au loin, et nous pourrions citer tel savant étranger[1] qui, venu à Paris pour passer six mois au laboratoire de M. Wurtz, le quitta au bout de six ans, non sans être obligé de se faire violence à lui-même.

Il est vrai que c’était un charme de travailler dans de pareilles conditions, en contact journalier avec le maître le plus accessible, le plus gai, le plus actif. Dés qu’il arrivait au laboratoire, c’était à qui lui parierait de ses recherches, le consulterait sur tel point embarrassant de pratique ou de théorie. Les réponses ne se faisaient pas attendre, et, tout en poursuivant ses propres expériences, le maître donnait son avis à chacun. Souvent, quand le cas était difficile, ou passait au tableau noir, et alors il écoutait les questions, les objections du plus humble de ses élèves, puis, prenant la parole à son tour, levait les difficultés et jetait la lumière à pleins mains. C’était une causerie ; l’élève pouvait croire qu’il y avait apporté quelque chose, puisque le maître voulait bien le dire et qu’il aimait ce cercle autour du tableau noir ; mais, à coup sûr, l’élève s’était enrichi d’idées et se remettait à l’œuvre avec un entrain nouveau, avec un enthousiasme plus grand pour la science.

parfois pourtant le maître arrivait préoccupé. Pas de réponse aux salutations qu’on lui adressait ! Pas de réponse aux questions ! On le voyait se parler à lui-même, en accompagnant cette conversation intérieure de gestes, comme il avait d’ailleurs l’habitude de faire en marchant dans la rue. Les élèves continuaient chacun leur travail ; après quelque temps, lui, semblent sortir comme d’un songe, répondait à la question qu’on avait presque oubliée et se retrouvait comme d’habitude à la disposition de tous.

S’il ne l’avait pas fait tout de suite, c’est qu’il était profondément absorbé par l’étude de quelque problème. Il avait en effet le don précieux de se dérober aux bruits extérieurs et de travailler dans n’importe quelles circonstances. C’est ce qui explique comment il a pu se contenter de la salle commune pour ses recherches, souvent si délicates, comment aussi il a réussi, dans une vie divisée entre tant d’occupations diverses,

  1. A. Opponheim, auteur de travaux estimés sur divers sujets de chimie organique.