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aperçu l’étoile ; le temps où les Amériques, n’ayant pas même de nom, dormaient dans la nuit de leurs forêts et dans l’ignorance des peuples civilisés ; où les Césars régnaient sur l’Occident ; où les rivages de la mer étaient les bornes du monde ; huit siècles avant Colomb et Vasco de Gama, du limon de la mer de soufre le monstre sortit une tête de granit couronnée de créneaux. Les yeux étaient des meurtrières, les mâchoires, des ponts-levis, les dents, des portes d’airain. Chacun de ses créneaux mesurait trente coudées. Il s’élança à travers les plaines, sur les cimes vertigineuses. Le moindre de ses replis encerclait une montagne, pontait un précipice, épaulait une falaise, matait un torrent, repoussait une avalanche, fermait un cratère et faisait taire un volcan. Lourdement, mais avec une agilité inouïe pour sa masse, il ondula sur les sommets, contourna le golfe immense de son berceau et s’y replongea, laissant inerte et pétrifié son tronc colossal de deux mille milles de longueur. À sa vue, le Fils du Céleste Empire et le Grand Mogol reculèrent, épouvantés, rentrèrent leurs glaives rougis du sang de leurs querelles fratricides ; ils reconnurent pour leur dieu Terme le dragon de granit ; ils convinrent que, là où gisait le corps du monstre, là serait la frontière de leurs empires respectifs.

Les flancs du mur sont percés de portes géantes ; sous leurs arceaux défilent les caravanes de la Mongolie, de la Tartarie, de la Corée, du Turkestan, de la Sibérie ; les missionnaires de Bouddha, de Confucius, du Christ, de Mahomet y passèrent ; suivirent : les catapultes, les canons, les baïonnettes étincelantes. Témoin vieilli, mais non encore délabré, de vingt-deux siècles, il regarde avec pitié le démolisseur qui, chaque jour, le détruit peu à peu pour édifier avec ses antiques débris. Ses portes d’airain ne gémissent plus sur leurs énormes gonds. Le torrent a charrié ses pavés usés par la roue du chariot et le pied du chameau. Construit deux cents ans avant l’ère chrétienne, il est encore solide. On le démolit à plus d’un endroit pour en extraire des matériaux de