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ASIE — CHINE — TIEN-TSIN — PÉKIN

chinoise. Ses murs sont percés de nombreuses portes que je n’ai pas énumérées, mais que j’estime à une centaine sans exagération. Les portes extérieures sont fermées le soir, à neuf heures, et ouvrent à six heures le matin.

Une énorme cloche dans la tour du même nom (la tour de la cloche) sonne le couvre-feu. Ce bourdon a une touchante légende. L’empereur Tsu-Shih en ordonna la fonte ; deux fois le fondeur ne réussit pas ; la cloche ne rendait pas le son que désirait entendre son impériale majesté. L’ouvrier consulta les oracles ; ils lui dirent qu’il fallait ajouter du sang humain au métal en ébullition. Il résolut cependant de tenter l’aventure une troisième fois avant de suivre cet avis cruel. Au moment où il s’apprêtait à verser dans le moule les cent vingt mille livres de bronze en ébullition, sa fille, qui savait le décret des oracles, se précipita dans la fournaise. Le père voulut la saisir, mais ne put retenir que son soulier qui lui resta dans la main. L’expérience réussit cette fois ; mais la cloche rend un double son : l’un grave, l’autre léger et plaintif qui fait entendre à l’oreille attentive le mot soulier en langue mandchoue. C’est l’âme de la jeune fille qui demande son soulier. Elle était bonne et belle comme le jour. Le père en mourut de désespoir.

Tout est muré dans Pékin ; si vous parcourez une avenue résidentielle, vous cheminez entre deux murs percés de portes closes. Entrez, et vous voici dans un dédale de cours et de murs intérieurs. Toutes les maisons sont couvertes de tuiles. La vie de la rue est inconcevable ! C’est un tintamarre infernal de tambours, clochettes, flûtes de tous calibres, poêlons, chaudrons, ferblanteries, cuivres, bronzes sur lesquels les camelots tapent pour annoncer leurs métiers ou leurs marchandises ; les marmitons cuisinent sur l’espace sans pavé, large de vingt-cinq pieds, entre les maisons et la chaussée ; pâtes et viandes, saucissons, légumes, fruits, tout s’exhibe, grille, rôtit, bouille et cuit dans l’eau, l’huile, le suif, la graisse, au vent, à la poussière, au nez des chameaux, des porcs, des bourriques, des chevaux, des indigènes et des touristes