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 Ah! nul batelier, maniant péniblement la gaffe,
 ne pousse sa noire chaloupe vers le rivage sans
 fleurs. Aucune petite monnaie de bronze ne saurait
 porter l'âme par-dessus le fleuve de la mort au pays
 sans soleil. Victimes, libations, voeux, tout est inutile;
 la tombe est scellée; les morts ne se relèvent
 point.
 Nous nous dissolvons dans l'air des hautes régions;
 nous redevenons des choses identiques à
 celles que nous touchons; chaque rayon cramoisi de
 soleil doit son éclat au sang de notre coeur: tout
 astre qu'émeut le printemps doit à nos jeunes vies
 son déploiement de flamme verte; les bêtes les plus
 sauvages qui battent la broussaille nous sont apparentées;
 toute vie est une et tout est changement.
 Un unique battement de systole et de diastole,
 effet d'une seule et vaste existence, soulève le coeur
 géant de la Terre, et les vagues puissantes de l'être
 unique ondulent depuis le germe sans nerf, jusqu'à
 l'homme, car nous sommes une parcelle de
 tout. Rocher, oiseau, animal ou colline, nous ne
 faisons qu'un avec les êtres qui nous dévorent, avec
 les êtres que nous tuons.
 Des cellules inférieures où la vie se réveille nous
 passons à la plénitude de la perfection; ainsi
 vieillit l'Univers. Nous qui sommes aujourd'hui
 semblables à des dieux, nous avons été jadis une