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LE PORTRAIT

ne pouvait pardonner cela : c’était le portrait qui avait tout fait… Basil lui avait dit des choses vraiment insupportables qu’il avait d’abord écoutées avec patience. Ce meurtre avait été la folie d’un moment, après tout… Quant à Alan Campbell, s’il s’était suicidé, c’est qu’il l’avait bien voulu… Il n’en était pas responsable.

Une vie nouvelle !… Voilà ce qu’il désirait ; voilà ce qu’il attendait… Sûrement elle avait déjà commencé ! Il venait d’épargner un être innocent, il ne tenterait jamais plus l’innocence ; il serait bon…

Comme il pensait à Hetty Merton, il se demanda si le portrait de la chambre fermée n’avait pas changé. Sûrement il ne pouvait être aussi épouvantable qu’il l’avait été ? Peut-être, si sa vie se purifiait, en arriverai-t-il à chasser de sa face tout signe de passion mauvaise ! Peut-être les signes du mal étaient-ils déjà partis… S’il allait s’en assurer !…

Il prit la lampe sur la table et monta… Comme il débarrait la porte, un sourire de joie traversa sa figure étrangement jeune et s’attarda sur ses lèvres… Oui, il serait bon, et la chose hideuse qu’il cachait à tous les yeux ne lui serait plus un objet de terreur. Il lui sembla qu’il était déjà débarrassé de son fardeau.

Il entra tranquillement, fermant la porte derrière lui, comme il avait accoutumé de le faire, et tira le rideau de pourpre qui cachait le portrait…

Un cri d’horreur et d’indignation lui échappa… Il n’apercevait aucun changement, sinon qu’une lueur de ruse était dans les yeux, et que la ride torve de l’hypocrisie s’était ajoutée à la bouche !…

La chose était encore plus abominable, — plus abominable, s’il était possible, qu’avant ; la tache écarlate