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DE DORIAN GRAY

çons et tous les garçons comme des hommes mariés.

— « Fin de siècle !… », murmura lord Henry.

— « Fin de globe !… », répondit l’hôtesse.

— Je voudrais que ce fût la Fin du globe, dit Dorian avec un soupir. La vie est une grande désillusion.

— Ah, mon cher ami ! s’écria lady Narborough mettant ses gants, ne me dites pas que vous avez épuisé la vie. Quand un homme dit cela, on comprend que c’est la vie qui l’a épuisé. Lord Henry est très méchant et je voudrais souvent l’avoir été moi-même ; mais vous, vous êtes fait pour être bon, vous êtes si beau !… Je vous trouverai une jolie femme. Lord Henry, ne pensez-vous pas que Mr Gray devrait se marier ?…

— C’est ce que je lui dis toujours, lady Narborough, acquiesça lord Henry en s’inclinant.

— Bien, il faudra que nous nous occupions d’un parti convenable pour lui. Je parcourrai ce soir le « Debrett » avec soin et dresserai une liste de toutes les jeunes filles à marier.

— Avec leurs âges, lady Narborough ? demanda Dorian.

— Certes, avec leurs âges, dûment reconnus… Mais il ne faut rien faire avec précipitation. Je veux que ce soit ce que le Morning Post appelle une union assortie, et je veux que vous soyez heureux !

— Que de bêtises on dit sur les mariages heureux ! s’écria lord Henry. Un homme peut être heureux avec n’importe quelle femme aussi longtemps qu’il ne l’aime pas !…

— Ah ! quel affreux cynique vous faites !… fit en se levant la vieille dame et en faisant un signe vers lady Ruxton.

— Il faudra bientôt revenir dîner avec moi. Vous êtes vraiment un admirable tonique, bien meilleur que celui