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LE PORTRAIT

et des questions seraient posées… Il hésita un instant, puis rentra et la prit sur la table. Il ne put s’empêcher de regarder le mort. Comme il était tranquille ! Comme ses longues mains étaient horriblement blanches ! C’était une effrayante figure de cire…

Ayant fermé la porte derrière lui, il descendit l’escalier tranquillement. Les marches craquaient sous ses pieds comme si elles eussent poussé des gémissements. Il s’arrêta plusieurs fois et attendit… Non, tout était tranquille… Ce n’était que le bruit de ses pas…

Lorsqu’il fut dans la bibliothèque, il aperçut la valise et le pardessus dans un coin. Il fallait les cacher quelque part. Il ouvrit un placard secret dissimulé dans les boiseries où il gardait ses étranges déguisements ; il y enferma les objets. Il pourrait facilement les brûler plus tard. Alors il tira sa montre. Il était deux heures moins vingt.

Il s’assit et se mit à réfléchir… Tous les ans, tous les mois presque, des hommes étaient pendus en Angleterre pour ce qu’il venait de faire… Il y avait comme une folie de meurtre dans l’air. Quelque rouge étoile s’était approchée trop près de la terre… Et puis, quelles preuves y aurait-il contre lui ? Basil Hallward avait quitté sa maison à onze heures. Personne ne l’avait vu rentrer. La plupart des domestiques étaient à Selby Royal. Son valet était couché… Paris ! Oui. C’était à Paris que Basil était parti et par le train de minuit, comme il en avait l’intention. Avec ses habitudes particulières de réserve, il se passerait des mois avant que des soupçons pussent naître. Des mois ! Tout pouvait être détruit bien avant…

Une idée subite lui traversa l’esprit. Il mit sa pelisse et son chapeau et sortit dans le vestibule. Là, il s’arrêta,