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DE DORIAN GRAY

peinture, et le cadre était bien celui qu’il avait dessiné. L’idée était monstrueuse, il s’en effraya !… Il saisit la bougie et l’approcha de la toile. Dans le coin gauche son nom était tracé en hautes lettres de vermillon pur…

C’était une odieuse parodie, une infâme, ignoble satire ! Jamais il n’avait fait cela… Cependant, c’était bien là son propre tableau. Il le savait, et il lui sembla que son sang, tout à l’heure brûlant, se gelait tout à coup. Son propre tableau !… Qu’est-ce que cela voulait dire ? Pourquoi cette transformation ? Il se retourna, regardant Dorian avec les yeux d’un fou. Ses lèvres tremblaient et sa langue desséchée ne pouvait articuler un seul mot. Il passa sa main sur son front ; il était tout humide d’une sueur froide.

Le jeune homme était appuyé contre le manteau de la cheminée, le regardant avec cette étrange expression qu’on voit sur la figure de ceux qui sont absorbés dans le spectacle, lorsque joue un grand artiste. Ce n’était ni un vrai chagrin, ni une joie véritable. C’était l’expression d’un spectateur avec, peut-être, une lueur de triomphe dans ses yeux. Il avait ôté la fleur de sa boutonnière et la respirait avec affectation.

— Que veut dire tout cela ? s’écria enfin Hallward. Sa propre voix résonna avec un éclat inaccoutumé à ses oreilles.

— Il y a des années, lorsque j’étais un enfant, dit Dorian Gray, froissant la fleur dans sa main, vous m’avez rencontré, vous m’avez flatté et appris à être vain de ma beauté. Un jour, vous m’avez présenté à un de vos amis, qui m’expliqua le miracle de la jeunesse, et vous avez fait ce portrait qui me révéla le miracle de la beauté. Dans un moment de folie que, même maintenant, je ne