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DE DORIAN GRAY

Il y avait comme une folie d’orgueil dans chaque mot qu’il proférait. Il frappait le sol du pied selon son habituelle et puérile insolence. Il ressentit une effroyable joie à la pensée qu’un autre partagerait son secret et que l’homme qui avait peint le tableau, origine de sa honte, serait toute sa vie accablé du hideux souvenir de ce qu’il avait fait.

— Oui, continua-t-il, s’approchant de lui, et le regardant fixement dans ses yeux sévères. Je vais vous montrer mon âme ! Vous allez voir cette chose qu’il est donné à Dieu seul de voir, selon vous !…

Hallward recula…

— Ceci est un blasphème, Dorian, s’écria-t-il. Il ne faut pas dire de telles choses ! Elles sont horribles et ne signifient rien…

— Vous croyez ?… Il rit de nouveau.

— J’en suis sûr. Quant à ce que je vous ai dit ce soir, c’est pour votre bien. Vous savez que j’ai toujours été pour vous un ami dévoué.

— Ne m’approchez pas !… Achevez ce que vous avez à dire…

Une contraction douloureuse altéra les traits du peintre. Il s’arrêta un instant, et une ardente compassion l’envahit. Quel droit avait-il, après tout, de s’immiscer dans la vie de Dorian Gray ? S’il avait fait la dixième partie de ce qu’on disait de lui, comme il avait dû souffrir !… Alors il se redressa, marcha vers la cheminée, et se plaçant devant le feu, considéra les bûches embrasées aux cendres blanches comme givre et la palpitation des flammes.

— J’attends, Basil, dit le jeune homme d’une voix dure et haute.

Il se retourna…