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DE DORIAN GRAY

devenir pour le Londres de nos jours, ce que dans l’impériale Rome de Néron, l’auteur du Satyricon avait été, encore, au fond de son cœur, désirait-il être plus qu’un simple Arbiter Elegantiarum, consulté sur le port d’un bijou, le nœud d’une cravate ou le maniement d’une canne.

Il cherchait à élaborer quelque nouveau schéma de vie qui aurait sa philosophie raisonnée, ses principes ordonnés, et trouverait dans la spiritualisation des sens, sa plus haute réalisation.

Le culte des sens a, souvent, et avec beaucoup de justice, été décrié, les hommes se sentant instinctivement terrifiés devant les passions et les sensations qui semblent plus fortes qu’eux, et qu’ils ont conscience d’affronter avec des formes d’existence moins hautement organisées.

Mais il semblait à Dorian Gray que la vraie nature des sens n’avait jamais été comprise, que les hommes étaient restés brutes et sauvages parce que le monde avait cherché à les affamer par la soumission ou les anéantir par la douleur, au lieu d’aspirer à les faire des éléments d’une nouvelle spiritualité, dont un instinct subtil de Beauté était la dominante caractéristique. Comme il se figurait l’homme se mouvant dans l’histoire, il fut hanté par un sentiment de défaite… Tant avaient été vaincus et pour un but si mesquin.

Il y avait eu des défections volontaires et folles, des formes monstrueuses de torture par soi-même et de renoncement, dont l’origine était la peur, et dont le résultat avait été une dégradation infiniment plus terrible que cette dégradation imaginaire, qu’ils avaient, en leur ignorance, cherché à éviter, la Nature, dans son ironie merveilleuse, faisant se nourrir l’anachorète avec les animaux du désert, et donnant à l’ermite les bêtes de la plaine pour compagnons.