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LE PORTRAIT

Ses petits dîners, dans la composition desquels lord Henry l’assistait, étaient remarqués, autant pour la sélection soigneuse et le rang de ceux qui y étaient invités, que pour le goût exquis montré dans la décoration de la table, avec ses subtils arrangements symphoniques de fleurs exotiques, ses nappes brodées, sa vaisselle antique d’argent et d’or.

Il y en avait beaucoup, parmi les jeunes gens, qui virent ou crurent voir dans Dorian Gray, la vraie réalisation du type qu’ils avaient souvent rêvé jadis à Eton ou à Oxford, le type combinant quelque chose de la culture réelle de l’étudiant avec la grâce, la distinction ou les manières parfaites d’un homme du monde. Il leur semblait être de ceux dont parle le Dante, de ceux qui cherchent à se rendre « parfaits par le culte de la Beauté ». Comme Gautier, il était « celui pour qui le monde visible existe »…

Et certainement, la Vie lui était le premier, le plus grand des arts, celui dont tous les autres ne paraissent que la préparation. La mode, par quoi ce qui est réellement fantastique devient un instant universel, et le Dandysme, qui, à sa manière, est une tentative proclamant la modernité absolue de la Beauté, avaient, naturellement, retenu son attention. Sa façon de s’habiller, les manières particulières que, de temps à autre, il affectait, avaient une influence marquée sur les jeunes mondains des bals de Mayfair ou des fenêtres de clubs de Pall Mail, qui le copiaient en toutes choses, et s’essayaient à reproduire le charme accidentel de sa grâce ; cela lui paraissait d’ailleurs secondaire et niais.

Car, bien qu’il fût prêt à accepter la position qui lui était offerte à son entrée dans la vie, et qu’il trouvât, à la vérité, un plaisir curieux à la pensée qu’il pouvait